Quand on ne peut infléchir une pente, autant en rajouter. C’est une façon d’abréger la route [1]
Quand je suis arrivé, il y a quelques années, au séminaire de Marcel Czermak à l’École Psychanalytique de Ste-Anne, j’ai d’emblée ressenti que je me trouvais dans un lieu étrangement familier, même s’il m’était inconnu. La discussion vive et libre, constituant l’axe de cet enseignement, faisait résonner les noms de Cotard, Séglas, Magnan, de Clérambault, Capgras etc. indiquant précisément le lieu d’où nous parlions : un des derniers endroits où la tradition de la clinique française est toujours vivante, toujours à l’œuvre. En effet, formé par Lacan, lui-même héritier de Clérambault, ce clinicien audacieux à qui nous devons la seule synthèse de l’École du service d’admission de Ste-Anne et de l’École de la Salpêtrière, Marcel Czermak a su être élève et maître de cette grande tradition de la psychiatrie classique française.
Cet air familier dont nous a surpris son enseignement, n’était nullement celui d’un homme en particulier, mais celui du Clinicien, le vrai. Cet air qui ravivait en nous le sens de l’observation et de l’intellection du cas, que nous n’avions autrement éprouvé qu’à travers la lecture des plus grands maîtres.
Sa parole tranchante, à l’antipode d’un quelconque autoritarisme, révélait et enseignait l’unique autorité digne du clinicien, celle de l’expérience elle-même. Voilà pourquoi, la grandeur du Dr Czermak n’est pas à mesurer tellement par ses œuvres, que par l’angoisse qu’il lui a fallu traverser pour se dessaisir de lui-même, de sa personne, pour en venir à une destitution subjective [2], seule permettant d’occuper la place de désêtre [3] d’où un rapport adéquat, une certaine synchronie avec le champ impersonnel de l’expérience clinique devient envisageable. La clinique telle qu’elle nous a été enseignée par Marcel Czermak exige l’ouverture d’une espace de transfert où, au-dessous du semblant du rapport de l’un avec l’autre, par le bais de la désintrication des termes architectoniques de l’expérience [4], surgit le règne impersonnel du fait clinique [5] régi désormais par la logique rigoureuse de la de-spécification de la pulsion, des traits singuliers encadrant son objet et son enchaînement fonctionnel.
Pour naviguer dans cette zone entre-deux-morts [6], le Dr Czermak a dû payer un certain prix, ses proches le savent. Car, comme il nous le rappelait souvent, «la clinique, c’est le réel en tant qu’impossible à supporter »[7]. Que son décès l’en soulage et que sa perte nous investisse du courage nécessaire pour nous y affronter et essayer d’égaler l’expérience à laquelle il a sacrifié sa vie.
Références
[1] M. Czermak, La pratique raisonnée de Jacques Lacan, in : Le discours psychanalytique, n° 1/1998, p. 23.
[2] J. Lacan, Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école, in : Ornicar ? Analytica, Vol.8/1978, p. 17.
[3] J. Lacan, Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école, in : Ornicar ? Analytica, Vol.8/1978, p. 19.
[4] Cf. M. Czermak, Traverser la folie, Hermann, Paris, 2021, p. 49.
[5] Cf. M. Czermak, Vendredi de Sainte-Anne, le 6 février 2004, in : Psychologie Clinique, N° 17/2004.
[6]Cf. M. Czermak, La pratique raisonnée de Jacques Lacan, in : Le discours psychanalytique, n° 1/1998, p. 19 et 21.
[7] J. Lacan, Ouverture de la section clinique, in : Ornicar ?, n°9, Paris, 1977