à l’occasion des 150 ans de l’Hôpital Sainte-Anne
Editorial : Saint des saints
Par Luc Sibony
Empruntons par une matinée ensoleillée la rue Ferrus, nommée d’après cet ancien inspecteur général des asiles d’aliénés.
Dépassons le bistrot du coin nommé d’après les entrepôts de la Samaritaine qui occupèrent jadis le terrain adjacent. Marchons quelques pas encore… Nous y sommes.
Devant nous, à la croisée de la rue Cabanis, se dresse le porche de l’hôpital Sainte-Anne.
Du haut de ce fronton 150 ans de psychiatrie nous contemplent, pourrait-on dire…
On ne compte plus ceux qui ont franchi ces grilles, accablés des maux de l’âme les plus divers.
Pour certains d’entre nous, cliniciens qui rejoignons ces lieux, c’est un autre sentiment qui nous saisit.
Pourquoi tant de solennité me direz-vous ? Peut-être parce que Sainte-Anne est un peu plus qu’un toponyme, un peu plus qu’un hôpital parmi tant d’autres. Nous pénétrons dans ce que d’aucuns nomment le sanctum sanctorum de la Psychiatrie. Nous cheminons le long de pavillons qui ont abrité les efforts et les travaux des esprits les plus brillants ayant contribué à la création de la psychiatrie.
Tendez l’oreille et vous entendrez peut-être l’écho des discussions passionnées, souvent violentes qui ont nourri ce lien fécond et réciproque que la psychiatrie a toujours entretenu avec nombre d’autres champs de connaissance.
Sainte-Anne est donc un peu plus qu’un mot, c’est sans doute un Signifiant.
Ses allées portent les noms de personnes illustres, intellectuels, artistes, qui un temps y trouvèrent refuge (ou pas). On y situe aussi la découverte des premières médications psychotropes de la psychose.
Pour nous, et pour un certain nombre à travers le monde, Sainte-Anne est l’opération qui consiste à s’appuyer sur la psychanalyse pour arracher le rapport aux patients à la théorie de la dégénérescence, idéologie médicale hygiéniste et réactionnaire du 19ème siècle.
Pour nous, et pour un nombre certain à travers le monde, Sainte-Anne est l’enseignement et la présentation de malades de Jacques Lacan. S’adossant au trésor de la psychiatrie classique et aux lumières des découvertes freudiennes, celui-ci contribue de manière majeure à la psychiatrie et à la vie intellectuelle de notre temps.
Parcourant ces prochaines pages, nous prenons la mesure des tracas qui accompagnent l’émergence du courant de la psychiatrie dynamique. Sainte-Anne qui accueillit l’Hôpital Henri-Rousselle voit se développer en son sein une expérience capitale qui contribue à l’architecture de la psychiatrie moderne, ici philosophie des soins révolutionnaire.
Sainte-Anne est donc cette séquence en psychiatrie indispensable et salutaire qui se heurte à l’irruption de ce dispositif contemporain articulant le paradigme médico-économique à celui de la validité statistique.
L’Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne, parce qu’elle se réclame de l’enseignement de Jacques Lacan, se donne comme programme de penser et traiter la folie en dehors de toute défectologie comme un fait de structure que seul le transfert peut mettre en lumière. Il s’agit de maintenir un exercice critique se référant aux spécifications scientifiques d’une discipline psychopathologique constituée à partir de la psychiatrie classique et faisant un pas de plus en développant les avancées freudiennes et lacaniennes.
Quelques lignes supplémentaires à inscrire dans la tumultueuse histoire de Sainte-Anne par son Ecole Psychanalytique.