Je vous propose aujourd’hui une variante du thème choisi cette année. D’emblée, nous pouvons noter que la dimension poétique à l’œuvre est de l’ordre d’un dire et non d’un dit. Je reprends là la distinction qu’avait soulignée Lucas Grimbert dans son propos introductif.
Si je vous propose aujourd’hui d’axer ma réflexion sur le poétique dans la cure, c’est parce que pour moi au cours des années c’est devenu une nécessité. Lacan nous avait prévenu : « on ne poétise pas assez », j’y reviendrai.

Il y a plusieurs années, j’avais coutume de dire qu’à l’adolescence il était nécessaire de remettre en circuit la métaphore paternelle. Les adolescents, soumis au Réel sexuel, au vacillement de l’imaginaire comme du symbolique, étaient ainsi contraints en quelque sorte de réélaborer la fonction paternelle. J’avais pris appui sur le cas clinique d’un ado dans un moment phobique aigu déclenché par un énoncé d’un devoir de physique où il était demandé de « remettre en circuit un ampère mètre » … Vous l’entendez, le signifiant père étant d’emblée convoqué, j’avais alors contraint ce jeune garçon à décliner le signifiant dans les 3 registres, mais aussi à prendre en compte le texte même de l’énoncé, à savoir : maître et permettre, signifiants déductibles de celui du NDP.

Aujourd’hui nous n’avons plus affaire aux mêmes patients, les références œdipiennes ne sont pas toujours opérantes, voire obsolètes. La structure familiale n’est plus celle qui avait cours au temps de Freud, et tend à être remplacée par les familles recomposées, monoparentales. Le père en est parfois exclu réellement, symboliquement, voire même imaginairement l’enfant ne connaissant pas son mode de vie. De même, l’apparition de nouveaux discours dans la Cité nous obligent à, sinon inventer d’autres outils, du moins à se tourner vers d’autres références.

En tout cas, il y a une référence très importante, lorsque Lacan vers la fin de son enseignement va passer du Nom du Père aux Noms du Père, soulignant, et c’est cela le plus essentiel, que le nouage des trois petites lettres, RSI vaut comme Nom du Père. C’est, pour paraphraser Lacan, le faire-récit qui ainsi est mis au cœur de la pratique. Cette dernière s’en trouve alors modifiée : il ne s’agit plus seulement de repérer les équivoques signifiantes, mais l’accent est mis sur la façon dont un patient va faire récit de ce qu’il traverse. Pour le dire encore autrement, c’est l’Imaginaire qui est mis au cœur de la cure pour nouer les deux autres catégories.

Je faisais tout à l’heure référence à l’avertissement de Lacan, comme quoi nous ne poétisons pas assez. C’est, vous le savez, son fameux « Je ne suis pas assez pouâte, je ne suis pas pouâte assez ». Nous en avons gardé le jeu de mot et oublié peut-être la recommandation. Il avait lancé cela dans le Séminaire L’Insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre. Loin d’être un Witz, c’était une façon de ne pas tout ramener à la névrose infantile, et de produire un écart qui force l’ouverture de l’Inconscient.
De la même façon, il avait souligné que l’Imaginaire pouvait topologiquement se détacher, « s’exfolier » . Jean-Jacques Tyszler aime bien le rappeler. C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui c’est une profonde modification de notre rapport à l’Imaginaire où ce dernier est de plus en plus virtualisé, engluant, risquant alors de ne plus se nouer aux autres consistances du Réel et du Symbolique.

Ce qui se dit, dépend de qui écoute.

Je vous donnerai l’exemple d’une adolescente de 16 ans qui, pendant de longs mois produisait avec peine des énoncés où la tonalité sombre retraçait sans cesse un univers familial précaire : un père alcoolique au chômage désertant le domicile dès qu’il le pouvait, une mère dépressive sur qui reposait la charge de ramener l’argent pour subsister… Dans le transfert, aucune brèche n’était possible et mon écoute était comme engluée dans ce tableau de misère sociale.
Que pouvais-je en entendre ? De quelle adresse s’agissait-il ? À quelle place étais-je dans le transfert, sinon celle de témoin impuissant ? Toute tentative de ma part de produire un écart dans ce que cette jeune patiente disait, était vain.

Ce dernier a pu se creuser dans sa clinique à partir du moment où elle-même, saturant de s’entendre toujours décrire le même marasme familial, s’est tournée vers l’écriture. La poésie a germé chez elle, faisant autrement récit de ce Réel familial et nouant d’autres possibles pour elle. Cette trame a constitué un récit partagé à partir duquel elle a commencé à écrire sa propre partition.

L’écriture de ses poèmes a constitué alors un dire délesté de sa jouissance, là où sa parole y était figée.

Un mot de cette jeune patiente. Je l’ai reçue dans le CMP où je travaille : elle s’était rapidement déscolarisée, alors qu’elle était brillante. C’est par le biais d’une tentative de suicide au Doliprane qu’elle adresse tout son mal-être à ses parents, et qu’elle cessera de fréquenter le lycée définitivement. Le décor familial est dressé avec un père fuyant le domicile et se réfugiant dans l’alcool. Quant à la mère, elle essaye comme elle le peut de faire vivre la maisonnée en gardant des enfants au domicile. Un autre facteur apparu dans l’après-coup va donner une coloration particulière au passage à l’acte de cette jeune patiente : sa sœur aînée a eu une relation sexuelle avec son copain dans la chambre où elle se trouvait au même moment, fait parfaitement connu de cette dernière. Cette intrusion sonore et obscène a semble-t-il, fait voler en éclats toute dimension de la pudeur, rendant notre adolescente certes témoin involontaire de la scène, mais surtout faisant voler en éclat l’espace intime de sa propre chambre.

Nouer un transfert avec cette adolescente a été laborieux. Ses propos, comme ses vêtements étaient inlassablement sombres, charriant le poids de sa profonde désespérance. Il n’y avait aucune anfractuosité pour y introduire la moindre question. Elle ne pouvait faire confiance à aucun adulte, puisque ceux de son entourage ne lui feraient aucun crédit d’après elle.
Comment faire naître le moindre espoir, quand sa famille subit une maltraitance matérielle et sociale ? La pousser à une reprise scolaire s’est heurtée à un impossible probablement du fait d’être entendu comme une injonction phallique à laquelle son père lui-même se dérobe… Acceptant mon impuissance, j’ai alors adressé cette jeune dans des ateliers de notre CATTP où elle a choisi Arts Plastiques et Écriture. C’est dans ce dernier que sa plume poétique s’est révélée, c’est là qu’elle a trouvé abri. Les mots et leur musique sont devenus son Heim, celui-là même qui avait volé en éclat dans la fameuse scène racontée plus haut.

Un mot pour reprendre notre thème : Ce qui se dit, dépend de qui écoute.
Il apparaît à cet endroit, que le « qui écoute » est alors porté par l’institution ; et le « ce qui se dit » par le truchement de l’écriture est rendu possible par la décomplétude de ma position dans les entretiens avec l’adolescente.

La poésie qu’elle déploie dans cet atelier fait récit de ses états d’âme, de ses émotions ; mais au-delà de ces derniers elle ouvre un champ de création où peu à peu sa vie s’énonce autrement, où elle redonne couleur à son morne quotidien.

J’aime l’hiver et ses basses températures
Mais ce froid là je vous le jure,
Je ne l’aime pas.
Ce froid qui grignote la peau de mes bras.
Celui qui étouffe mon cœur.
Celui qui fait vivre mes peurs.
Ce froid qui arrive même en été,
Il n’arrête pas de m’embêter.
Ce froid qui a pris vie,
Quand je me suis sentie seule cette nuit.

Curieusement, alors qu’il est question de froid, ces quelques phrases ont donné vie à l’histoire de cette ado, ont réchauffé sa parole jusque-là engluée dans un pessimisme sans fond. J’ajouterais que l’Imaginaire du Miroir a été ainsi à nouveau convoqué, permettant dans l’offre qu’elle me faisait de lire son poème, que je puisse à mon tour la renommer.

À sa manière, cette jeune a pu fort bien décrire l’Imaginaire lorsqu’il se détache du Réel et du Symbolique :

Il est seul face à l’écran,
Sa vie défile en noir et blanc.
Assis sur son siège,
Il est comme pris au piège.
Les images sont une boucle infinie.
Les rangées vides autour de lui.

Elle dit mieux qu’on aurait pu le faire, la façon dont l’image rend le sujet captif et l’enferme dans une solitude sans altérité, sans parole.

En rentrant des ateliers qu’elle fréquente au CATTP, notre adolescente retravaille ce qu’elle y a écrit, ce qu’elle y a dessiné. Ainsi, dresse-t-elle un pont entre ce lieu et son domicile pour continuer à se construire une cabane.

Nous avons élaboré avec elle un projet soin-études, dans lequel elle a mis du sien. Notre patiente y a puisé alors la possibilité de se redonner un horizon, de redessiner une perspective. Ainsi, l’avenir se noue au présent, se remobilise en une forme de promesse rendant la vie plus attrayante.

Alors que nous étions suspendus à la réponse de l’établissement de soins études, notre adolescente a pris un autre virage : elle a fait un stage chez une fleuriste qui, contre toute attente, lui a proposé de travailler à mi-temps dans son magasin dont l’enseigne connue est « Au nom de la Rose ». La patiente a aussitôt composé sa plume avec ce signifiant faisant fleurir ses mots :

En poésie ou en prose,
On danse avec les mots.
Je jure au nom de la rose,
De faire faner vos maux.

Nous y entendons que le nouage de ces petites lettes, R, S et I permet d’écrire autrement sa vie, et surtout, permet que s’élabore un métier. Rappelons que pour Lacan, le métier est aussi un des noms du Père !

Ce qui se poétise, dépend de…

Nous l’avons dit et redit, le transfert a une place prépondérante. Avec les adolescents, le transfert est davantage une interpellation, et il ne rime pas forcément avec disparité. Cette interpellation entraîne un déplacement subjectif considérable chez l’analyste qui doit sinon à répondre du moins en répondre : face à ce qui surgit là d’un versant symbolique de cette apostrophe : « Qui t’es toi ? » demandent-ils souvent, nous avons à l’entendre du côté d’un « Au nom de quoi », nous nous intéressons à lui ? Au nom de quoi, nous ne serions pas comme les autres adultes à faire comme si…
Avec les adolescents, mais aussi avec les enfants, il ne s’agit pas tant d’être à leur côté, ni de leur côté d’ailleurs, mais de se tenir avec eux. Il ne s’agit pas seulement d’être ému ou étonné par sa poésie, mais de partager avec elle au moment même, ce qu’elle réussit à faire résonner en nous par ses mots. Autre manière de dire que ces derniers nous donnent également asile… Jean-Jacques Tyszler avait proposé le Mit mensch , je dirais plutôt le Beimensch ?

Ce qui se poétise dépend-il alors de ce Beimensch mis en place dans ce transfert ? Il me semble que du côté de notre ado, elle a modifié son adresse par sa poétisation, ouvrant un espace où l’écoute deviendrait entendement ? Je reprends ici ce signifiant qu’Edouard Bertaud nous avait apporté. L’entendement, non pas bien sûr comme la faculté de créer des concepts, mais bien ce que sous-tend l’étymologie à savoir « porter attention vers », porter son écoute au-delà du sens ?
Avec cette jeune patiente, je me suis surprise à lui proposer de rassembler tous ses poèmes et de les taper, afin d’en faire un recueil, dans le but de les publier.
Cette proposition m’est venue spontanément et d’emblée la jeune patiente a accepté, comme si cela était naturel. Me voilà à présent engagée avec elle à mener à bien ce projet.
J’aimerais revenir sur un point, celui du signifiant « Au nom de la rose ». Je vous disais plus haut qu’un métier est aussi un des noms du Père. Côtoyer l’univers floral a permis à cette ado de refleurir sa langue. Mais c’est aussi la question du nom qui est là convoquée. Écrire ce petit recueil de poésie, c’est aussi pour elle de se faire un nom, un nom qui s’inscrit aussi dans son nom propre. Je vous lis un passage d’Esther Tellermann : « le poème rejoint le mythe : c’est une manière de rejoindre, dans l’événement, le geste de tous ceux qui ont fait de l’imperfection, de l’irréconciliable, une œuvre. C’est une manière de dialoguer à travers le temps, d’avoir plusieurs filiations, plusieurs noms qu’on peut à chaque fois perdre, retrouver, mais constitutifs de son nom propre ».

Patrick Mérot, l’autre jour insistait sur la notion d’écart qu’il y a dans l’aphorisme que nous mettons au travail, au sens d’une inadéquation entre les deux propositions, excluant « la possibilité d’une rencontre harmonieuse entre « ce qui se dit » et la position de « qui écoute ». Et pourtant, je dirais qu’il y a eu rencontre entre la psychanalyse et la poésie au cœur de son acte de langage, mais pour un temps seulement. Une rencontre qui se fait dans ce qui serait au départ une dissonance entre les deux positions que sont l’analysant et l’analyste. J’entends par dissonance, comme le suggère le terme musical, non pas un désagrément sonore mais plutôt une tension à même de créer une sensation d’instabilité mais qui dans sa résolution ouvre un espace inattendu, en l’occurrence ici, celui de la poésie.
Insistons sur la notion d’inattendu que suscite cette dissonance, dissonance qui serait celle de l’expérience même du langage dans la cure au sens de manquer l’objet qu’il vise. Mais surtout, cette fragile tension en appelle immédiatement à l’attention de qui écoute. Si l’expérience du langage est celle de son manque à dire, si comme l’écrit Pascal Quignard, le langage est cette « lutte effrayante entre la nuit et le silence » ; la résolution poétique est alors, pour un temps, nous dit toujours ce magnifique écrivain « le mot retrouvé, le langage qui redonne à voir le monde ».
Notons encore que le dire ici sur un mode poétique, vient s’éprouver dans le transfert dans une expérience d’altérité partagée. Je ne résiste pas à vous proposer alors : « Ce qui se dit, sonne qui écoute » … à défaut de le sommer d’écouter ce qui surgit d’inouï, mais aussi, ajouterais-je, de décaler ce qui s’entend sans jamais réduire la dimension de l’insu. Je rappellerai ce que disait Barthes : « épanouir le langage au lieu de le rétrécir », ce pourrait être une façon d’illustrer le « qui écoute ».
Il y a un autre bord que nous n’avons pas encore arpenté, c’est celui du silence, lorsque l’analysant lui-même est confronté à son silence intérieur. Ce qui ne peut encore se formuler, trouvera à se dire dans l’écoute de l’analyste. Moments souvent douloureux, ils peuvent néanmoins se transformer en une expérience constitutive pas nécessairement traumatique. En tout cas, ces mises à l’épreuve de l’indicible entre analysant et analyste peuvent en appeler à la nécessité de la poétisation. Certains mots, certaines trouvailles de langage feront alors arrimage pour l’analysant, et résonneront également chez l’analyste, leur permettant à l’un comme à l’autre d’habiter l’absence.

Je terminerai par une citation d’Henri Meschonnik :

« On peut définir le poème, dans son activité, comme une forme de vie qui transforme le langage et une forme de langage qui transforme une forme de vie. Seule cette interaction fait la condition d’un poème, fait sa force qui est toute autre chose que ce que disent les mots qui sont dedans. C’est le poème qui fait ce que font les mots, pas les mots qui font le poème. Cette définition du poème ne l’enferme pas dans une totalité, elle est au contraire ce qui lui reconnaît son infini »

 

 

Discussion

 

Lucas Grimberg :

Merci beaucoup Corinne pour ton travail, je vais reprendre par l’opposition signifiante par laquelle tu as commencé, à savoir « dit et dire ». Il me semble que l’enjeu de ton texte c’est d’essayer de s’interroger sur comment on produit un au-delà du dit avec un patient, et comment on sanctionne ce qui est au-delà, en deçà, ou à côté de la parole, si je puis dire, comme étant au moins une visée, si ce n’est l’enjeu de l’affaire.

 

Corinne Tyszler :

Peux-tu préciser ce que tu avances : « sanctionner ce qui est au-delà de la parole » ?

 

Lucas G :

Il s’agit d’essayer de produire une dimension qui ne soit pas le dit. Concrètement, on dit au-delà du dit, en-deçà, à côté, en tout cas, ce qu’il faut c’est que ce ne soit pas le dit. Et du coup j’ai oublié la fin de ce que j’ai dit et – oui c’est ça – cette constitution d’un espace, d’une autre dimension si je puis dire. A t’entendre, j’aurais dit que c’était la condition d’une pratique possible. Alors, ce qui est intéressant c’est que, d’une certaine façon, il n’y en a pas qu’une. On peut parler de la poésie, on peut parler par exemple de ce que c’est que le rire pendant une séance, ou bien une formation de l’inconscient comme un lapsus qui viendrait du côté du patient, ou de l’analyste. Toutes ces petites choses qui viennent taper dans le non-sens, dans l’absurde et qui viennent faire exister une dimension supplémentaire, à condition que les deux protagonistes en tiennent compte finalement. C’est une question que je te pose, peut-être la façon dont ça se produit fréquemment. Je dis ça parce que la poésie c’est quelque chose dont tu parles souvent. La façon dont ça va se produire dans les cures va dépendre du style de chacun, en tant que ça s’articule à la modalité de satisfaction du désir de l’analyste, un désir qui se satisfait toujours d’une façon un peu singulière. Tu disais que le fait de prendre acte de cette dimension-là à deux, par exemple par l’intermédiaire des poèmes, ça venait modifier le statut de l’autre. Il y a un passage comme ça dans ton texte, je ne sais pas si je te cite avec exactitude. Je dirais que ça met au clair l’adresse en tant que les deux peuvent saisir qu’ils ne soutiennent qu’une illusion dans le transfert, mais une illusion qui est nécessaire, parce qu’elle permet de serrer le dire justement à deux, et c’est peut-être en cela, et là, que la trouvaille de langage peut-être opérante dans une cure analytique et produire des avancées. Voilà ce que je te proposerais comme première discussion.

 

Corinne T :

Je te réponds par une question : mettrais-tu au même plan la poésie et les formations de l’inconscient ? Il me semble que ce n’est quand même pas tout à fait du même registre, quand bien même cela fait coupure dans les deux cas.

 

Lucas G :

Effectivement une poésie ou un lapsus ne sont pas sur le même plan, mais ça peut tenir éventuellement la même fonction dans la structure, en tant que c’est une dimension qui est à côté du dit. Quelque part l’enjeu ce serait d’en arriver à l’écriture d’un poème ou d’en arriver à une production langagière qui fasse basculer la parole du côté de ce qui la cause qui la détermine. On peut considérer que, finalement, ce que dit un patient ce n’est pas si important que ça. Ce qui compte, c’est qu’il en passe par le fait de parler pour que justement la dimension à côté ait une chance de se produire ou de se faire entendreEn t’écoutant je mettais la poésie plutôt à cette place-là.

 

Corinne T :

Quand tu parles d’illusion nécessaire dans le transfert, ça me fait penser à ce que Patrick Mérot avait amené avec l’intervalle. Dans notre cas, c’est l’écart qui se produit entre les deux propositions de l’aphorisme « ce qui se dit » et « dépend de qui écoute ». Winnicott avait nommé cela l’illusion créatrice et c’est le transfert tout aussi bien.

 

Lucas G :

Oui , je pensais essentiellement au transfert.

D’ailleurs ce que tu signalais du transfert adolescent : « au nom de quoi est-ce que vous vous intéressez à moi ? », c’est une bonne question qui interroge le désir de l’analyste. Le transfert, ça part du sujet supposé savoir, à partir de là c’est de l’ordre de l’illusion, mais c’est une illusion qu’il faut soutenir parce qu’elle permet le déroulement de la cure. Je dirais que ce passage-là de ton propos m’a fait penser qu’il y avait toujours des moments dans une cure où on avait particulièrement à faire au fait que le transfert n’était qu’une illusion, mais finalement ça ne change rien, ce n’est pas pour autant que le transfert tombe ou se défait, ça peut tout à fait être une illusion nécessaire qui peut d’ailleurs s’entendre, enfin se déplier, sur les deux plans que tu situes là par exemple. Il y a ton rapport à ta patiente en tant qu’elle te parle, et puis il y a ce qui se passe au niveau du texte et c’est … Tu distinguais justement les deux.

 

Corinne T :

Ce sur quoi j’ai voulu insister, c’était de préciser que l’écriture du poème, des poèmes, a été possible parce que j’ai cédé quelque part aussi. Je veux dire que le transfert ne se mettant pas véritablement en place, j’étais un peu désemparée ai-je dit tout à l’heure, et cette décomplétude a probablement permis à la patiente de trouver un autre lieu.

 

Lucas G :

Oui c’est ça, c’est comme ça que j’avais entendu ton titre en fait : « ce qui se poétise dépend de … »

Tu mettais ainsi une case vide à la fin de cette phrase, à savoir, ce qui se poétise dépend d’un trou. Si tu n’es pas troué, il n’y a pas de poésie possible. Ça me fait penser à ce cas-là dans le séminaire de l’Angoisse. Il y a au milieu du séminaire, un passage où est évoqué ce qui se passe quand l’analyste devient angoissé avec une patiente. Je n’ai plus trop le cas en tête, mais il y a un moment de bascule dans la cure parce que l’analyste se met à être angoissé. C’est une façon d’accuser réception de…

Est-ce que quelqu’un a une question ?

 

Sabine Chollet :

Une toute petite question. J’ai été sensible au fait que les poèmes de cette jeune fille parfois étaient en vers avec des rimes et en 8 pieds… C’est ce que j’ai entendu, enfin j’avais noté ça. Et puis elle parle de prose et de poésie. Il y a de la poésie sans rime, y a toute sorte de poésies. Est-ce que ce sont des questions qui ont été abordées avec la patiente ? Et la question qui me venait c’est : les rimes ça rime à quoi ? Est-ce que…

 

Corinne T :

Tous ceux qui posent des questions ont des éléments de réponse. Je ne sais pas, si ce n’est que pour cette patiente, cela l’arrime.

 

Sabine C :

Ça n’a pas du tout été abordé…

 

Corinne T :

Je crois que tous les petits textes qu’elle a écrits possèdent des rimes.

 

Sabine C :

À chaque fois ?

 

Corinne T :

Oui.

 

Sabine C :

Je me demandais si les rimes, c’est la question qui me venait, ça à voir avec la répétition, ça a à voir avec de l’écho ?

 

Lucas G :

En tout cas, la condition, à lire le poème, ça introduit cette dimension-là de l’écho.

Ce dernier n’est pas sans rapport avec la question de la beauté d’ailleurs. Cette dimension d’écho peut aussi être là justement quand il n’y en a pas, mais ce n’est pas la même chose, ce n’est pas la même esthétique.

 

Edouard Bertaud :

Ce ne sont pas des questions, mais plus des remarques, des idées comme ça, qui me sont venues en t’écoutant. Tu parlais de la façon dont les adolescents interpellent c’est ça ? Tu disais … ça me faisait penser à la riposte dont parle souvent Czermak dans le transfert. Et alors, je ne sais pas si tu connais, il y a un mouvement, une association qui s’est créée, il y a peut-être deux ans maintenant, qui s’appelle « la riposte poétique ». C’est une collègue qui est psychiatre psychanalyste, qui s’appelle Farrugia Hossini, qui est à l’initiative de ça et qui se veut être un mouvement politique pour mettre en place la poésie notamment dans les institutions. Alors, et je crois que ça dépend de la chaire de philosophie à l’hôpital, cela s’appelle « la riposte poétique ». Ce n’est pas mal. Et je pensais à Charles Melman qui dans les dernières années avait proposé, pour les adolescents, des lectures obligatoires de poésie. Il voulait le proposer à l’Éducation Nationale, comme une possibilité de mettre fin aux problèmes à l’école. Concernant les métaphores musicales, il y en a eu souvent dans ton propos, ce qui est drôle c’est que : « Au-nom-de-la-rose », ça a été créé par une musicienne. Dani, la chanteuse Dani qui, quand elle était vraiment au plus mal, avait créé ces métaphores.

 

Corinne T :

Quelle chanteuse ?

 

Edouard B :

Dani, D.A.N.I, et elle avait créé ces magasins « Au-nom-de-la-rose » mais c’est une musicienne qui a créé ça. Et enfin, tu as fini par Celan. Je me suis dit faudrait peut-être le reprendre, parce que je ne l’ai plus en tête, il y avait un dialogue que Celan avait essayé d’avoir avec Adorno, là, toujours sur la question de dire. Ce que disait Adorno c’est que c’est totalement barbare d’écrire des poèmes après Auschwitz. Alors Celan en avait écrit un, et il avait fait une sorte de dialogue fictif avec Adorno. Ça s’appelle, je crois, « Conversation dans la montagne » ou dans les montagnes[1]. Il y a tout un passage qu’on pourrait reprendre, qui parle à mon avis de cette phrase qu’on travaille : « ce qui se dit dépend de qui écoute ». Il y a tout ça, c’est en prose, mais il y a tout un passage où il dit : « je parle mais je ne m’adresse à personne et personne ne m’écoute ». Il y a toute cette histoire de l’indicible. Enfin, il y a quelque chose, je me disais, qu’il faudrait peut-être reprendre, voilà, en tout cas le relire.

 

Nicolas Dissez :

On va laisser la parole à Jean-Jacques, à qui ça s’adressait quand même. C’est sur la question de l’adresse. Je commence par Lacan, le « pas pouâteassez»[2].

Si ça sonne comme de la poésie, c’est quand même de la poésie surréaliste, et c’est peut-être une modalité d’attraper la poésie sur un mode proche du Witz, du mot d’esprit. La poésie se rapproche de la formation de l’inconscient quand même. Et je pensais, dans le registre, à un autre grand poète, Marcel Czermak, quand il blague sur la folie raisonnante. Il fait résonner la langue sur le thème de la folie, mais c’est presque une blague surréaliste « folie raisonnante ». Ça introduit, justement là où il n’y en a pas beaucoup, dans la clinique de Sérieux et Capgras, une résonance de la langue. Ça dit … C’est performatif, quoi. Ça dit ce que ça fait, et ça fait ce que ça dit.

Alors je repensais à une chose que je crois, Patrick Mérot a dit la fois dernière : « ce qui se dit dépend de qui écoute , c’est une définition du transfert », ou c’est une façon d’attraper le transfert, et donc la question de l’adresse. Donc, je me demandais ce que la poésie pouvait changer de la dimension de l’adresse, et de la surprise de ton propos. « Je ne suis pas pouâteassez», c’est du côté de l’analyste. La surprise de ton propos, l’exemple que tu donnes, c’est la patiente dont tu parles. Alors qu’on a du mal à l’imaginer, c’est elle qui introduit la dimension poétique dans la séance, dans le travail, d’elle-même, avec comme tu le disais, l’inattendu. Cela déplace du coup un peu quand même l’histoire du « pouâteassez » de Lacan. Ma question porte là-dessus : « est-ce que »… enfin c’est toujours une question quand les patients amènent un écrit, je me demande souvent « est-ce qu’ils écrivent pour moi, ou est-ce qu’ils écrivent avec moi ? » Quand ils viennent l’introduire spontanément, et le lire en séance, et qu’on ne l’a pas spécialement suscité ou demandé, il me semble, à t’écouter, et à écouter aussi les poèmes de ta patiente, que cela modifie quelque chose. Par rapport à son propos antérieur, l’introduction de la poésie change la façon dont on l’écoutait. Mais c’est elle qui nous oblige, qui oblige à une autre écoute, c’est elle qui déplace l’écoute. Ma question, c’est de savoir si celui qui écrit un recueil de poèmes, écrit pour quelqu’un ? Ce n’est pas du tout évident que l’adresse soit du même type pour un roman ou pour un essai. L’écoute poétique opère, il me semble, un petit déplacement qui est analogue à l’écoute analytique. Cela nous rapproche de la question des formations de l’inconscient et de l’attention flottante comme on dit. L’écoute poétique suscite un certain type d’attention. Mais, une fois encore, c’est la patiente qui a déplacé l’écoute du praticien.

 

Corinne T :

Il ne faut pas oublier aussi que pour cette patiente, le transfert était pluriel. Il y avait celui qui avait trait à nos entretiens réguliers, mais il y avait aussi tout ce qui se passait dans les ateliers. Il y a donc quelque chose de plus complexe dans le type d’adresse qu’elle suscite. Il y a eu la conjonction, il me semble, d’une décomplétude de ma part, et d’une non-attente des animateurs dans les ateliers. En effet, on ne demande pas aux patients d’être performants, d’être de bons dessinateurs ou de bons écrivains… Il y a eu quelque chose qui s’est noué dans l’institution, pour qu’elle-même produise ce type d’adresse qui a considérablement, non seulement, déplacé mon écoute, mais celle de tous les autres collègues de l’équipe.

 

Jean-Jacques Tyszler :

Je peux dire un mot ?

 

Corinne T :

Si tu veux.

 

Jean-Jacques T :

C’est juste, tu en donnais un très bon exemple. C’est juste pour rappeler qu’on a des surprises venant de nos patients, et souvent des patients psychotiques, justement dans l’ordre du poétique. Je ne peux pas vous narrer par le détail, mais ça m’a toujours étonné que des grands schizophrènes un peu paranoïdes, tout d’un coup, un jour, apportent un cahier d’écriture, et vous vous apercevez assez vite que tout n’est pas rongé par l’automatisme. C’est-à-dire qu’à l’intérieur, il y a des vraies inventions. Lacan appelait cela le Réel de l’effet de sens. C’est-à-dire que cela se situe au-delà de la signification. A qui c’était destiné ? A qui c’est écrit ? C’est une question qui reste. Le patient ouvre la porte un jour, quand le transfert est assez mis en place, et à ce moment-là, de ce jour-là, quelque chose est en partage, non pas d’ailleurs qu’on juge la poésie ou qu’on la critique. Mais on considère que ce trésor est rendu, est donné. J’ai un autre exemple dont, je ne peux pas tout raconter parce que là c’est une patiente de cabinet, mais qui est une vraie poétesse, qui publie et qui sort de ses accès mélancoliques par la poésie. C’est cliniquement très difficile à expliquer. Elle traversait, elle traverse, des épisodes, hypomaniaques ou mélancoliques francs. Et dans le meilleur des cas, et heureusement c’était le cas, elle racontait elle-même, par côté, la poésie la rattrapait. C’est-à-dire qu’il y avait presque une automaticité des lettres qui allait la vivifier à nouveau. Elle était rattrapée par l’acte d’écrire, et, tout d’un coup, elle m’envoyait un petit texte puis un second, puis un troisième. Puis elle revenait à sa séance. Elle n’était pas guérie au sens propre, mais elle était sortie de son accès mélancolique, là où les médicaments elle les refusait, comme elle ne souhaitait pas être hospitalisée non plus. Elle était « guérie ». Comment donc est-ce possible ? Est-ce que c’est propre à la poésie uniquement ? Je dirais non, probablement, mais on pourrait appeler ça un plongement dans un lieu Autre, qui n’est pas celui de l’équivoque signifiante. Je vous en donne un exemple. J’avais un patient mélancolique qui avait failli se pendre à plusieurs reprises dans la clinique où je travaillais à l’époque, un vrai mélancolique. Et comment il sortait de ses épisodes ? Malheureusement nous, on n’y pouvait pas grand-chose, mais il peignait des aquarelles, d’où il prenait à l’occasion des couleurs, de temps en temps. Il lui venait l’idée de mettre des couleurs, et ça signait la sortie de ses accès. Aucun de nous n’aurait pu inventer ce genre de choses-là, mais à l’évidence il inventait un plongement dans un espace différent. Voilà les exemples que je pouvais vous donner au passage, mais je crois que chacun de nous, qui travaillons dans des lieux où il y a des psychotiques, peut en donner des exemples.

 

Lucas G :

Est-ce qu’on peut considérer que ça leur tient lieu d’inconscient dans le cas d’un écrit ? En effet, dans cette situation c’est quand même une autre chaîne signifiante qui est amenée, comme ça, dans le Réel. Et on peut dire que c’est là où ça rejoindrait la fonction des formations de l’inconscient, mais à partir du moment où elles se partagent. C’est cette idée qu’il n’y a pas de Witz si on est tout seul, il faut un autre qui accuse le coup. Il n’y a pas de lapsus si on est tout seul, il faut qu’il y ait un autre. C’est peut-être en cela, que pour certains patients psychotiques, ça peut avoir un effet thérapeutique si je puis dire, ou de suppléance, que d’adresser l’écrit. Autrement dit, cela fait « reconsister » l’inconscient.

 

Corinne T :

J’ai un petit exemple d’un patient psychotique que je vois depuis de très nombreuses années, qui m’a adressé un poème, et le titre du poème c’est « La Psy cause » …

 

Marion

Je vais commencer par quelque chose qui va peut-être vous choquer mais je n’aime pas beaucoup la poésie, enfin, je me suis toujours posée la question de savoir pourquoi. Ça m’est vraiment difficile, mais à entendre ce que vous disiez aujourd’hui, je vais peut-être me réconcilier un peu. C’était peut-être un peu la seule façon, puisque, comme vous avez dit, avoir été engluée, d’avoir eu cette trouvaille de l’envoyer en CATTP, qu’elle puisse s’emparer de la poésie, des mots qui résonnaient. Je pensais à des Haïku. Vous savez ces petits poèmes très courts qui qui célèbrent les sensations, c’est très musical en tout cas. Et voilà, je pensais aussi à l’écriture, plus qu’à la poésie. Au livre de Georges Semprun, qui s’appelle « L’écriture ou la vie »[3]. Il y a aussi des patients qui ne sont pas uniquement psychotiques, qui vous adressent ou qui écrivent des choses entre les séances, et qui nous les font lire ou nous les lisent. Et effectivement il y a de la suppléance là, mais j’aimerais bien comprendre pourquoi, j’ai du mal avec la poésie.

 

X :

Pour Freud la mélancolie c’est lorsque l’objet a tombe sur le moi. Le mélancolique demande à mourir, se plaignant d’être un déchet. Je pensais à cette création qui est quand même une sublimation. C’est-à-dire quelqu’un qui s’accroche, comme Gérard Garouste ou Nicolas de Staël qui avaient de grands moments de mélancolie. Le fait de sublimer quelque chose ressort d’une autre pulsion, et est en rapport avec l’inconscient. C’est la créativité qui crée une jouissance, donc ces artistes s’en sortent comme ça. Est-ce qu’on ne peut pas dire qu’il y a quelque chose qui se déplace dans le fait de créer ? Beaucoup d’artistes sont mélancoliques et s’en tirent par cette sublimation. C’est une supposition, mais je pense notamment à des peintres comme Nicolas de Staël.

 

Corinne T :

Je ne suis pas sûre qu’on puisse parler, dans le cadre des psychoses ou de la mélancolie, de sublimation. Il serait plus juste de dire qu’il y a suppléance ou ce que proposait Lucas Grimberg, qui me semble bienvenu, un tenant lieu d’inconscient, mais ce n’est pas une sublimation, enfin je ne crois pas.

 

Hubert de Novion :

Je voudrais faire plusieurs réflexions. D’abord, si on aime la poésie, je crois qu’il faut aussi la haïr. J’ai vérifié très vite, parce que je n’étais pas sûr, il y a un petit bouquin de Georges Bataille qui s’appelle « La haine de la poésie »[4]. Je ne m’en souviens pas, mais en tout cas, quelqu’un qui a été un tout petit peu dans ce sens, c’est un grand écrivain, Denis Roche et qui dans ses premiers textes, comme « Louve basse »[5], réagissait contre le côté qu’on peut dire sublime de la poésie. On peut haïr un certain côté sublime de la poésie, le mettre en cause d’ailleurs, ce qui n’est pas être contre la poésie du tout ! Simplement je crois que c’est ce que fait Lacan. Nicolas Dissez l’a fait entendre lorsqu’il (Lacan) parle de « pouâte » au lieu de poète, c’est pour limiter le côté inspiré, poète, vous voyez ? Et c’est « pouâte ». Je crois que Lacan n’était pas du tout, à mon avis, du côté de la tradition poétique française comme Bonnefoy, Duboucher, une tradition proche de la philosophie. Ces derniers sont des auteurs proches de la philosophie, il était beaucoup plus de cette tendance-là.

 

« Pas toutes » les psychoses seraient proches de la poésie, la schizophrénie sans doute. Je crois qu’on a dit que Rilke était plutôt côté schizophrène, donc ça vaudrait le coup de voir un tout petit peu quel versant de la psychose est intéressé par ce point. Sinon, je voulais vous dire aussi, que tout ce qui a été dit aujourd’hui vaudrait vraiment le coup d’être repris d’autres fois. Il y a eu beaucoup de questions très importantes, y compris Jean-Jacques, lorsqu’on plonge dans un autre espace. Ça vaudrait vraiment le coup de reprendre les différentes questions pour que cela ne reste pas comme une simple intervention, ponctuelle.

 

Corinne T :

Il me semble que Lacan a eu quelques mots de poésie à propos de l’amour, il avait écrit : « l’amour est un caillou riant dans le soleil »[6].

 

Hubert D.N :

Ça, c’est Eluard.

 

Corinne T :

Non c’est Lacan.

 

Hubert D. N :

NON c’est Eluard.

 

Corinne T :

Non non non, on a pensé que c’était Eluard mais Olivier Douville a retrouvé le passage où il l’écrit.

 

Hubert D.N :

C’est du Lacan !

 

François … :

Je ne voulais pas intervenir sur la poésie, mais plutôt sur ce qui est arrivé avant qui m’a complètement ahuri, sur l’orientation de la cure. Quand vous avez dit qu’il s’agissait peut-être, dans la clinique contemporaine, de ne plus jouer sur l’équivoque ou de réintroduire le père, mais de laisser jouer l’Imaginaire qui permet de tisser un récit de soi. Effectivement, il y a quelque chose de l’ordre de l’Imaginaire qui prend plus d’importance aujourd’hui dans le lien social, alors moi ça m’a ahuri ça. Il me semblait que Lacan disait qu’il s’agissait d’aborder le Réel par le Symbolique et que c’est ça qui faisait un effet… Qu’est-ce que ça change en gros d’abandonner le Symbolique et de s’en remettre à l’Imaginaire ?

 

Corinne T :

On ne l’abandonne pas, on prend l’Imaginaire au cœur du dispositif, pour le nouer au Symbolique comme au Réel. Il ne s’agit pas de dire que l’Imaginaire supplanterait le symbolique. De toute façon, Lacan lui-même, a toujours dit que les trois ronds étaient à parts égales.

Ici, il s’agit plutôt de mettre au cœur du dispositif la question du récit, du RSI. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus jouer sur les équivoques signifiantes, mais que cet outil n’est pas toujours efficient dans la clinique avec certains adolescents.

De la même façon, faire appel systématiquement à la verticalité du père n’est pas non plus toujours opérant. Et je rappelle juste que, dans le passage du Nom du Père aux Noms du Père, le nouage de RSI vaut comme Nom-du-Père.

 

Lucas G :

Un point juste, excuse-moi. Peut-être que l’on dit souvent : « avant ceci, maintenant cela », mais je pense que c’est des questions qui se posent toujours au cas par cas, et qui dépendent de la façon dont chacun parle de la façon dont un patient va être pris par la langue. Tu vois, si sa parole va s’orienter davantage sur un côté récit ou une face assez imaginaire, ou bien, même si ça arrive pour certains patients, on constate que le patient va être tout à fait sensible à cette dimension d’équivoque d’ambiguïté signifiante en fonction de ce qu’il dit. Enfin, ça dépend vraiment de chacun.

 

François … :

De ce qui marche.

 

Lucas G :

Des conditions d’une parole possible pour le sujet.

 

Jean-Jacques T :

Il y a peut-être…. Ça serait pour un débat beaucoup plus long une prochaine fois. Il y a un tournant RSI, il ne faut pas l’oublier, au-delà de la topologie. C’est-à-dire que, Lacan le dit lui-même, la hiérarchie, vous savez, il dit lui-même : « vous avez peut-être trop entendu que je hiérarchisais toutes les catégories par le Symbolique premier ». Il dit ça : « j’en ai trop fait ». Il le dit lui-même. Et donc, il y a un coup de force de Lacan qui a surement étonné tous ceux qui étaient là ce jour-là. Il dit : « je vais mettre les trois catégories à égale dignité ». Vous vous rappelez de ça ? C’est énorme, énorme parce que tous les analystes étaient formés sur cet adage : « y’a l’d’autorité ». Il y a de l’autorité du Symbolique, et ça reste encore dans beaucoup d’endroits. Alors moi, je rappelle toujours qu’Anna Arendt avait prévenu qu’à la sortie de la guerre et de la Shoah, ce que vous appelez l’autorité classique c’en est fini, elle l’a dit. Assez bizarrement il a fallu attendre. Ça ne veut pas dire, effectivement tu as raison, que dans toutes les cures il n’y a pas appel à la question du père. Mais quand Lacan dit plus tardivement que : « le risque c’est que l’imaginaire ne s’exfolie », c’est-à-dire se détache feuille par feuille, l’imaginaire s’exfoliant, c’est alors tout le nœud…. Et donc, pour être très pragmatique, pourquoi dans les services d’enfants aujourd’hui, dans les services de pédopsychiatrie, on fait récit avec les enfants de la mythologie ? On fait récit. On les oblige à faire récit de la vie voyez-vous, y compris de leur vie de famille évidemment, parce que c’est ça le risque. Tout étant virtualisé, il n’y a plus d’utopie, il n’y a plus de grand récit, aussi bien dans le politique aujourd’hui, que dans le social. C’est pareil. A part acheter des terres à droite à gauche qu’est-ce qui fait utopie politique ? Donc je dirais peut-être … peut-être qu’on en est là aujourd’hui. On en est là nous-mêmes. En tout cas moi, j’essaye de comprendre pourquoi Lacan, dans les années… Si on met de côté le côté un peu aride de l’arithmétique, de la topologie, mais néanmoins il prévient que les grandes verticalités dont il a lui-même parlé, il pense que ça va être une difficulté et qu’il faudra réinventer des façons de toujours tisser, renouer, autrement. Alors, je le dis au passage, parce que les noms-du-père c’est pas juste les trois monothéismes, il faut faire attention. Oui, il ne faut pas interpréter les noms du père comme le pluriel Islam, Judaïsme, et Chrétienté. Sûrement pas, d’ailleurs on sait quand RSI… on le sait par Charles Melman qui racontait ça, à l’époque, le jour où Lacan … il travaillait ça, il travaillait effectivement, sur le monothéisme juif, en même temps sur Dante. Vous vous en rappelez. Il travaillait sur Dante, il prenait l’exemple de Dante et de Joyce. C’était les trois exemples qu’il avait sous le coude, en même temps, pour lui-même. Il tissait en même temps. Bon voilà, c’est pour dire, que tout n’était pas dans la verticalité du monothéisme. Bon, je crois qu’on en est là et dans beaucoup d’écoles ces questions sont à l’œuvre : comment entendre ce risque que se défasse effectivement cet imaginaire qui n’est pas l’imaginaire au miroir, et même pas l’imaginaire fantasmatique, qui est l’imaginaire narratif, qui est déjà du symbolique effectivement ?

 

Lucas G :

Oui c’est ça, parce que dans un mythe au final, ce que vous étudiez, on entend bien la dimension RSI, il y a tous les registres qui sont là. Peut-être que dans la poésie ça fait aussi nœud, mais un peu plus, enfin…, disons que le côté sens se trouve très serré du côté de l’objet a.

 

Philippe Azoury :

Je ne sais pas si c’est moi qui termine, j’ai l’impression ! C’était pour rebondir sur ce que disait Lucas Grimberg à juste titre, que : « ce qui se poétise dépend d’un trou ». Et ça m’a fait penser à un des premiers poèmes d’Henri Michaux. C’est dans Ecuador, cela date de 1926 ou 1927[7]. Il part en Équateur, s’éloigne beaucoup, il y a fait beaucoup de vent, il est à Quito où beaucoup de psychanalystes ont été un moment parler, et il écrit un poème qui s’appelle : « Je suis né troué », dans lequel je citerai juste ce passage :

 

« Mon vide est ouate et silence.
Silence qui arrête tout.
Un silence d’étoiles.
Quoique ce trou soit profond, il n’a aucune forme.
Les mots ne le trouvent pas ».

 

« Je suis né troué »[8], c’est dans Ecuador.

 

 

Lucas G :

Puisque Philippe a décidé de couper…

 

Corinne T :

La séance est trouée.

 

[1] Conversation à la montagne, Paul Celan, Éditions Du Lavoir Saint Martin, 1 Avril 2011.

[2] Néologisme utilisé par Lacan dans la séance du 19 mai 1977 du séminaire « L’insu que sait de l’une bévue s’aile amourre ». Transcrit parfois sous la forme pohâtassé.

«L’astuce de l’homme, c’est de bourrer tout cela, je vous l’ai dit, avec de la poésie qui est effet de sens, mais aussi bien effet de trou. Il n’y a que la poésie, vous ai-je dit, qui permette l’interprétation et c’est en cela que je n’arrive plus, dans ma technique, à ce qu’elle tienne ; je ne suis pas assez pouâte, je ne suis pas pouâteassez !»

LXXIV L’INSU QUE SAIT DE L’UNE BÉVUE S’AILE À MOURRE 1976 – 1977 LEÇON DU 17 MAI 1977

[3] L’Écriture ou la Vie, Jorge Semprun, Folio/Gallimard, Folio no 2870, Paris, 1994.

[4] La haine de la poésie, Georges Bataille, Les Éditions de Minuit, Paris, 1947.

[5] Louve Basse : Ce N’est Pas Le Mot Qui Fait La Guerre, C’est La Mort, Denis Roche, Seuil, 1992.

[6] Jacques Lacan, in L’Instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud (1957), p. 508, ainsi que dans Le Séminaire, Livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1983.

« Plusieurs lecteurs ont cherché, en vain, d’où venait la citation dont Lacan illustrait la métaphore dans L’Instance de la lettre dans l’inconscient (p. 508) : “l’amour est un caillou riant dans le soleil”. Elle est de lui », in Erik Porge, Transmettre la clinique psychanalytique. Freud, Lacan, aujourd’hui, Toulouse, Érès, 2005, p. 62.

[7] Henri Michaux, Ecuador, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », Paris, 1990.

[8] « Je suis né troué. Il souffle un vent terrible. Ce n´est qu´un petit trou dans ma poitrine, Mais il y (…) …ce n´est qu´un vent, un vide. Malédiction sur toute la terre, sur toute la civilisation, sur tous les êtres à la surface de toutes les planètes, à cause de ce vide. (…) Ce vide, voilà ma réponse ». Henri Michaux, Ecuador, opus cité.

EPSA, mars 2025

 

 



CE QUI SE POÉTISE DÉPEND DE … ? par Corinne TYSZLER


Corinne TYSZLER
18/04/2025




Je vous propose aujourd’hui une variante du thème choisi cette année. D’emblée, nous pouvons noter que la dimension poétique à l’œuvre est de l’ordre d’un dire et non d’un dit. Je reprends là la distinction qu’avait soulignée Lucas Grimbert dans son propos introductif.
Si je vous propose aujourd’hui d’axer ma réflexion sur le poétique dans la cure, c’est parce que pour moi au cours des années c’est devenu une nécessité. Lacan nous avait prévenu : « on ne poétise pas assez », j’y reviendrai.

Il y a plusieurs années, j’avais coutume de dire qu’à l’adolescence il était nécessaire de remettre en circuit la métaphore paternelle. Les adolescents, soumis au Réel sexuel, au vacillement de l’imaginaire comme du symbolique, étaient ainsi contraints en quelque sorte de réélaborer la fonction paternelle. J’avais pris appui sur le cas clinique d’un ado dans un moment phobique aigu déclenché par un énoncé d’un devoir de physique où il était demandé de « remettre en circuit un ampère mètre » … Vous l’entendez, le signifiant père étant d’emblée convoqué, j’avais alors contraint ce jeune garçon à décliner le signifiant dans les 3 registres, mais aussi à prendre en compte le texte même de l’énoncé, à savoir : maître et permettre, signifiants déductibles de celui du NDP.

Aujourd’hui nous n’avons plus affaire aux mêmes patients, les références œdipiennes ne sont pas toujours opérantes, voire obsolètes. La structure familiale n’est plus celle qui avait cours au temps de Freud, et tend à être remplacée par les familles recomposées, monoparentales. Le père en est parfois exclu réellement, symboliquement, voire même imaginairement l’enfant ne connaissant pas son mode de vie. De même, l’apparition de nouveaux discours dans la Cité nous obligent à, sinon inventer d’autres outils, du moins à se tourner vers d’autres références.

En tout cas, il y a une référence très importante, lorsque Lacan vers la fin de son enseignement va passer du Nom du Père aux Noms du Père, soulignant, et c’est cela le plus essentiel, que le nouage des trois petites lettres, RSI vaut comme Nom du Père. C’est, pour paraphraser Lacan, le faire-récit qui ainsi est mis au cœur de la pratique. Cette dernière s’en trouve alors modifiée : il ne s’agit plus seulement de repérer les équivoques signifiantes, mais l’accent est mis sur la façon dont un patient va faire récit de ce qu’il traverse. Pour le dire encore autrement, c’est l’Imaginaire qui est mis au cœur de la cure pour nouer les deux autres catégories.

Je faisais tout à l’heure référence à l’avertissement de Lacan, comme quoi nous ne poétisons pas assez. C’est, vous le savez, son fameux « Je ne suis pas assez pouâte, je ne suis pas pouâte assez ». Nous en avons gardé le jeu de mot et oublié peut-être la recommandation. Il avait lancé cela dans le Séminaire L’Insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre. Loin d’être un Witz, c’était une façon de ne pas tout ramener à la névrose infantile, et de produire un écart qui force l’ouverture de l’Inconscient.
De la même façon, il avait souligné que l’Imaginaire pouvait topologiquement se détacher, « s’exfolier » . Jean-Jacques Tyszler aime bien le rappeler. C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui c’est une profonde modification de notre rapport à l’Imaginaire où ce dernier est de plus en plus virtualisé, engluant, risquant alors de ne plus se nouer aux autres consistances du Réel et du Symbolique.

Ce qui se dit, dépend de qui écoute.

Je vous donnerai l’exemple d’une adolescente de 16 ans qui, pendant de longs mois produisait avec peine des énoncés où la tonalité sombre retraçait sans cesse un univers familial précaire : un père alcoolique au chômage désertant le domicile dès qu’il le pouvait, une mère dépressive sur qui reposait la charge de ramener l’argent pour subsister… Dans le transfert, aucune brèche n’était possible et mon écoute était comme engluée dans ce tableau de misère sociale.
Que pouvais-je en entendre ? De quelle adresse s’agissait-il ? À quelle place étais-je dans le transfert, sinon celle de témoin impuissant ? Toute tentative de ma part de produire un écart dans ce que cette jeune patiente disait, était vain.

Ce dernier a pu se creuser dans sa clinique à partir du moment où elle-même, saturant de s’entendre toujours décrire le même marasme familial, s’est tournée vers l’écriture. La poésie a germé chez elle, faisant autrement récit de ce Réel familial et nouant d’autres possibles pour elle. Cette trame a constitué un récit partagé à partir duquel elle a commencé à écrire sa propre partition.

L’écriture de ses poèmes a constitué alors un dire délesté de sa jouissance, là où sa parole y était figée.

Un mot de cette jeune patiente. Je l’ai reçue dans le CMP où je travaille : elle s’était rapidement déscolarisée, alors qu’elle était brillante. C’est par le biais d’une tentative de suicide au Doliprane qu’elle adresse tout son mal-être à ses parents, et qu’elle cessera de fréquenter le lycée définitivement. Le décor familial est dressé avec un père fuyant le domicile et se réfugiant dans l’alcool. Quant à la mère, elle essaye comme elle le peut de faire vivre la maisonnée en gardant des enfants au domicile. Un autre facteur apparu dans l’après-coup va donner une coloration particulière au passage à l’acte de cette jeune patiente : sa sœur aînée a eu une relation sexuelle avec son copain dans la chambre où elle se trouvait au même moment, fait parfaitement connu de cette dernière. Cette intrusion sonore et obscène a semble-t-il, fait voler en éclats toute dimension de la pudeur, rendant notre adolescente certes témoin involontaire de la scène, mais surtout faisant voler en éclat l’espace intime de sa propre chambre.

Nouer un transfert avec cette adolescente a été laborieux. Ses propos, comme ses vêtements étaient inlassablement sombres, charriant le poids de sa profonde désespérance. Il n’y avait aucune anfractuosité pour y introduire la moindre question. Elle ne pouvait faire confiance à aucun adulte, puisque ceux de son entourage ne lui feraient aucun crédit d’après elle.
Comment faire naître le moindre espoir, quand sa famille subit une maltraitance matérielle et sociale ? La pousser à une reprise scolaire s’est heurtée à un impossible probablement du fait d’être entendu comme une injonction phallique à laquelle son père lui-même se dérobe… Acceptant mon impuissance, j’ai alors adressé cette jeune dans des ateliers de notre CATTP où elle a choisi Arts Plastiques et Écriture. C’est dans ce dernier que sa plume poétique s’est révélée, c’est là qu’elle a trouvé abri. Les mots et leur musique sont devenus son Heim, celui-là même qui avait volé en éclat dans la fameuse scène racontée plus haut.

Un mot pour reprendre notre thème : Ce qui se dit, dépend de qui écoute.
Il apparaît à cet endroit, que le « qui écoute » est alors porté par l’institution ; et le « ce qui se dit » par le truchement de l’écriture est rendu possible par la décomplétude de ma position dans les entretiens avec l’adolescente.

La poésie qu’elle déploie dans cet atelier fait récit de ses états d’âme, de ses émotions ; mais au-delà de ces derniers elle ouvre un champ de création où peu à peu sa vie s’énonce autrement, où elle redonne couleur à son morne quotidien.

J’aime l’hiver et ses basses températures
Mais ce froid là je vous le jure,
Je ne l’aime pas.
Ce froid qui grignote la peau de mes bras.
Celui qui étouffe mon cœur.
Celui qui fait vivre mes peurs.
Ce froid qui arrive même en été,
Il n’arrête pas de m’embêter.
Ce froid qui a pris vie,
Quand je me suis sentie seule cette nuit.

Curieusement, alors qu’il est question de froid, ces quelques phrases ont donné vie à l’histoire de cette ado, ont réchauffé sa parole jusque-là engluée dans un pessimisme sans fond. J’ajouterais que l’Imaginaire du Miroir a été ainsi à nouveau convoqué, permettant dans l’offre qu’elle me faisait de lire son poème, que je puisse à mon tour la renommer.

À sa manière, cette jeune a pu fort bien décrire l’Imaginaire lorsqu’il se détache du Réel et du Symbolique :

Il est seul face à l’écran,
Sa vie défile en noir et blanc.
Assis sur son siège,
Il est comme pris au piège.
Les images sont une boucle infinie.
Les rangées vides autour de lui.

Elle dit mieux qu’on aurait pu le faire, la façon dont l’image rend le sujet captif et l’enferme dans une solitude sans altérité, sans parole.

En rentrant des ateliers qu’elle fréquente au CATTP, notre adolescente retravaille ce qu’elle y a écrit, ce qu’elle y a dessiné. Ainsi, dresse-t-elle un pont entre ce lieu et son domicile pour continuer à se construire une cabane.

Nous avons élaboré avec elle un projet soin-études, dans lequel elle a mis du sien. Notre patiente y a puisé alors la possibilité de se redonner un horizon, de redessiner une perspective. Ainsi, l’avenir se noue au présent, se remobilise en une forme de promesse rendant la vie plus attrayante.

Alors que nous étions suspendus à la réponse de l’établissement de soins études, notre adolescente a pris un autre virage : elle a fait un stage chez une fleuriste qui, contre toute attente, lui a proposé de travailler à mi-temps dans son magasin dont l’enseigne connue est « Au nom de la Rose ». La patiente a aussitôt composé sa plume avec ce signifiant faisant fleurir ses mots :

En poésie ou en prose,
On danse avec les mots.
Je jure au nom de la rose,
De faire faner vos maux.

Nous y entendons que le nouage de ces petites lettes, R, S et I permet d’écrire autrement sa vie, et surtout, permet que s’élabore un métier. Rappelons que pour Lacan, le métier est aussi un des noms du Père !

Ce qui se poétise, dépend de…

Nous l’avons dit et redit, le transfert a une place prépondérante. Avec les adolescents, le transfert est davantage une interpellation, et il ne rime pas forcément avec disparité. Cette interpellation entraîne un déplacement subjectif considérable chez l’analyste qui doit sinon à répondre du moins en répondre : face à ce qui surgit là d’un versant symbolique de cette apostrophe : « Qui t’es toi ? » demandent-ils souvent, nous avons à l’entendre du côté d’un « Au nom de quoi », nous nous intéressons à lui ? Au nom de quoi, nous ne serions pas comme les autres adultes à faire comme si…
Avec les adolescents, mais aussi avec les enfants, il ne s’agit pas tant d’être à leur côté, ni de leur côté d’ailleurs, mais de se tenir avec eux. Il ne s’agit pas seulement d’être ému ou étonné par sa poésie, mais de partager avec elle au moment même, ce qu’elle réussit à faire résonner en nous par ses mots. Autre manière de dire que ces derniers nous donnent également asile… Jean-Jacques Tyszler avait proposé le Mit mensch , je dirais plutôt le Beimensch ?

Ce qui se poétise dépend-il alors de ce Beimensch mis en place dans ce transfert ? Il me semble que du côté de notre ado, elle a modifié son adresse par sa poétisation, ouvrant un espace où l’écoute deviendrait entendement ? Je reprends ici ce signifiant qu’Edouard Bertaud nous avait apporté. L’entendement, non pas bien sûr comme la faculté de créer des concepts, mais bien ce que sous-tend l’étymologie à savoir « porter attention vers », porter son écoute au-delà du sens ?
Avec cette jeune patiente, je me suis surprise à lui proposer de rassembler tous ses poèmes et de les taper, afin d’en faire un recueil, dans le but de les publier.
Cette proposition m’est venue spontanément et d’emblée la jeune patiente a accepté, comme si cela était naturel. Me voilà à présent engagée avec elle à mener à bien ce projet.
J’aimerais revenir sur un point, celui du signifiant « Au nom de la rose ». Je vous disais plus haut qu’un métier est aussi un des noms du Père. Côtoyer l’univers floral a permis à cette ado de refleurir sa langue. Mais c’est aussi la question du nom qui est là convoquée. Écrire ce petit recueil de poésie, c’est aussi pour elle de se faire un nom, un nom qui s’inscrit aussi dans son nom propre. Je vous lis un passage d’Esther Tellermann : « le poème rejoint le mythe : c’est une manière de rejoindre, dans l’événement, le geste de tous ceux qui ont fait de l’imperfection, de l’irréconciliable, une œuvre. C’est une manière de dialoguer à travers le temps, d’avoir plusieurs filiations, plusieurs noms qu’on peut à chaque fois perdre, retrouver, mais constitutifs de son nom propre ».

Patrick Mérot, l’autre jour insistait sur la notion d’écart qu’il y a dans l’aphorisme que nous mettons au travail, au sens d’une inadéquation entre les deux propositions, excluant « la possibilité d’une rencontre harmonieuse entre « ce qui se dit » et la position de « qui écoute ». Et pourtant, je dirais qu’il y a eu rencontre entre la psychanalyse et la poésie au cœur de son acte de langage, mais pour un temps seulement. Une rencontre qui se fait dans ce qui serait au départ une dissonance entre les deux positions que sont l’analysant et l’analyste. J’entends par dissonance, comme le suggère le terme musical, non pas un désagrément sonore mais plutôt une tension à même de créer une sensation d’instabilité mais qui dans sa résolution ouvre un espace inattendu, en l’occurrence ici, celui de la poésie.
Insistons sur la notion d’inattendu que suscite cette dissonance, dissonance qui serait celle de l’expérience même du langage dans la cure au sens de manquer l’objet qu’il vise. Mais surtout, cette fragile tension en appelle immédiatement à l’attention de qui écoute. Si l’expérience du langage est celle de son manque à dire, si comme l’écrit Pascal Quignard, le langage est cette « lutte effrayante entre la nuit et le silence » ; la résolution poétique est alors, pour un temps, nous dit toujours ce magnifique écrivain « le mot retrouvé, le langage qui redonne à voir le monde ».
Notons encore que le dire ici sur un mode poétique, vient s’éprouver dans le transfert dans une expérience d’altérité partagée. Je ne résiste pas à vous proposer alors : « Ce qui se dit, sonne qui écoute » … à défaut de le sommer d’écouter ce qui surgit d’inouï, mais aussi, ajouterais-je, de décaler ce qui s’entend sans jamais réduire la dimension de l’insu. Je rappellerai ce que disait Barthes : « épanouir le langage au lieu de le rétrécir », ce pourrait être une façon d’illustrer le « qui écoute ».
Il y a un autre bord que nous n’avons pas encore arpenté, c’est celui du silence, lorsque l’analysant lui-même est confronté à son silence intérieur. Ce qui ne peut encore se formuler, trouvera à se dire dans l’écoute de l’analyste. Moments souvent douloureux, ils peuvent néanmoins se transformer en une expérience constitutive pas nécessairement traumatique. En tout cas, ces mises à l’épreuve de l’indicible entre analysant et analyste peuvent en appeler à la nécessité de la poétisation. Certains mots, certaines trouvailles de langage feront alors arrimage pour l’analysant, et résonneront également chez l’analyste, leur permettant à l’un comme à l’autre d’habiter l’absence.

Je terminerai par une citation d’Henri Meschonnik :

« On peut définir le poème, dans son activité, comme une forme de vie qui transforme le langage et une forme de langage qui transforme une forme de vie. Seule cette interaction fait la condition d’un poème, fait sa force qui est toute autre chose que ce que disent les mots qui sont dedans. C’est le poème qui fait ce que font les mots, pas les mots qui font le poème. Cette définition du poème ne l’enferme pas dans une totalité, elle est au contraire ce qui lui reconnaît son infini »

 

 

Discussion

 

Lucas Grimberg :

Merci beaucoup Corinne pour ton travail, je vais reprendre par l’opposition signifiante par laquelle tu as commencé, à savoir « dit et dire ». Il me semble que l’enjeu de ton texte c’est d’essayer de s’interroger sur comment on produit un au-delà du dit avec un patient, et comment on sanctionne ce qui est au-delà, en deçà, ou à côté de la parole, si je puis dire, comme étant au moins une visée, si ce n’est l’enjeu de l’affaire.

 

Corinne Tyszler :

Peux-tu préciser ce que tu avances : « sanctionner ce qui est au-delà de la parole » ?

 

Lucas G :

Il s’agit d’essayer de produire une dimension qui ne soit pas le dit. Concrètement, on dit au-delà du dit, en-deçà, à côté, en tout cas, ce qu’il faut c’est que ce ne soit pas le dit. Et du coup j’ai oublié la fin de ce que j’ai dit et – oui c’est ça – cette constitution d’un espace, d’une autre dimension si je puis dire. A t’entendre, j’aurais dit que c’était la condition d’une pratique possible. Alors, ce qui est intéressant c’est que, d’une certaine façon, il n’y en a pas qu’une. On peut parler de la poésie, on peut parler par exemple de ce que c’est que le rire pendant une séance, ou bien une formation de l’inconscient comme un lapsus qui viendrait du côté du patient, ou de l’analyste. Toutes ces petites choses qui viennent taper dans le non-sens, dans l’absurde et qui viennent faire exister une dimension supplémentaire, à condition que les deux protagonistes en tiennent compte finalement. C’est une question que je te pose, peut-être la façon dont ça se produit fréquemment. Je dis ça parce que la poésie c’est quelque chose dont tu parles souvent. La façon dont ça va se produire dans les cures va dépendre du style de chacun, en tant que ça s’articule à la modalité de satisfaction du désir de l’analyste, un désir qui se satisfait toujours d’une façon un peu singulière. Tu disais que le fait de prendre acte de cette dimension-là à deux, par exemple par l’intermédiaire des poèmes, ça venait modifier le statut de l’autre. Il y a un passage comme ça dans ton texte, je ne sais pas si je te cite avec exactitude. Je dirais que ça met au clair l’adresse en tant que les deux peuvent saisir qu’ils ne soutiennent qu’une illusion dans le transfert, mais une illusion qui est nécessaire, parce qu’elle permet de serrer le dire justement à deux, et c’est peut-être en cela, et là, que la trouvaille de langage peut-être opérante dans une cure analytique et produire des avancées. Voilà ce que je te proposerais comme première discussion.

 

Corinne T :

Je te réponds par une question : mettrais-tu au même plan la poésie et les formations de l’inconscient ? Il me semble que ce n’est quand même pas tout à fait du même registre, quand bien même cela fait coupure dans les deux cas.

 

Lucas G :

Effectivement une poésie ou un lapsus ne sont pas sur le même plan, mais ça peut tenir éventuellement la même fonction dans la structure, en tant que c’est une dimension qui est à côté du dit. Quelque part l’enjeu ce serait d’en arriver à l’écriture d’un poème ou d’en arriver à une production langagière qui fasse basculer la parole du côté de ce qui la cause qui la détermine. On peut considérer que, finalement, ce que dit un patient ce n’est pas si important que ça. Ce qui compte, c’est qu’il en passe par le fait de parler pour que justement la dimension à côté ait une chance de se produire ou de se faire entendreEn t’écoutant je mettais la poésie plutôt à cette place-là.

 

Corinne T :

Quand tu parles d’illusion nécessaire dans le transfert, ça me fait penser à ce que Patrick Mérot avait amené avec l’intervalle. Dans notre cas, c’est l’écart qui se produit entre les deux propositions de l’aphorisme « ce qui se dit » et « dépend de qui écoute ». Winnicott avait nommé cela l’illusion créatrice et c’est le transfert tout aussi bien.

 

Lucas G :

Oui , je pensais essentiellement au transfert.

D’ailleurs ce que tu signalais du transfert adolescent : « au nom de quoi est-ce que vous vous intéressez à moi ? », c’est une bonne question qui interroge le désir de l’analyste. Le transfert, ça part du sujet supposé savoir, à partir de là c’est de l’ordre de l’illusion, mais c’est une illusion qu’il faut soutenir parce qu’elle permet le déroulement de la cure. Je dirais que ce passage-là de ton propos m’a fait penser qu’il y avait toujours des moments dans une cure où on avait particulièrement à faire au fait que le transfert n’était qu’une illusion, mais finalement ça ne change rien, ce n’est pas pour autant que le transfert tombe ou se défait, ça peut tout à fait être une illusion nécessaire qui peut d’ailleurs s’entendre, enfin se déplier, sur les deux plans que tu situes là par exemple. Il y a ton rapport à ta patiente en tant qu’elle te parle, et puis il y a ce qui se passe au niveau du texte et c’est … Tu distinguais justement les deux.

 

Corinne T :

Ce sur quoi j’ai voulu insister, c’était de préciser que l’écriture du poème, des poèmes, a été possible parce que j’ai cédé quelque part aussi. Je veux dire que le transfert ne se mettant pas véritablement en place, j’étais un peu désemparée ai-je dit tout à l’heure, et cette décomplétude a probablement permis à la patiente de trouver un autre lieu.

 

Lucas G :

Oui c’est ça, c’est comme ça que j’avais entendu ton titre en fait : « ce qui se poétise dépend de … »

Tu mettais ainsi une case vide à la fin de cette phrase, à savoir, ce qui se poétise dépend d’un trou. Si tu n’es pas troué, il n’y a pas de poésie possible. Ça me fait penser à ce cas-là dans le séminaire de l’Angoisse. Il y a au milieu du séminaire, un passage où est évoqué ce qui se passe quand l’analyste devient angoissé avec une patiente. Je n’ai plus trop le cas en tête, mais il y a un moment de bascule dans la cure parce que l’analyste se met à être angoissé. C’est une façon d’accuser réception de…

Est-ce que quelqu’un a une question ?

 

Sabine Chollet :

Une toute petite question. J’ai été sensible au fait que les poèmes de cette jeune fille parfois étaient en vers avec des rimes et en 8 pieds… C’est ce que j’ai entendu, enfin j’avais noté ça. Et puis elle parle de prose et de poésie. Il y a de la poésie sans rime, y a toute sorte de poésies. Est-ce que ce sont des questions qui ont été abordées avec la patiente ? Et la question qui me venait c’est : les rimes ça rime à quoi ? Est-ce que…

 

Corinne T :

Tous ceux qui posent des questions ont des éléments de réponse. Je ne sais pas, si ce n’est que pour cette patiente, cela l’arrime.

 

Sabine C :

Ça n’a pas du tout été abordé…

 

Corinne T :

Je crois que tous les petits textes qu’elle a écrits possèdent des rimes.

 

Sabine C :

À chaque fois ?

 

Corinne T :

Oui.

 

Sabine C :

Je me demandais si les rimes, c’est la question qui me venait, ça à voir avec la répétition, ça a à voir avec de l’écho ?

 

Lucas G :

En tout cas, la condition, à lire le poème, ça introduit cette dimension-là de l’écho.

Ce dernier n’est pas sans rapport avec la question de la beauté d’ailleurs. Cette dimension d’écho peut aussi être là justement quand il n’y en a pas, mais ce n’est pas la même chose, ce n’est pas la même esthétique.

 

Edouard Bertaud :

Ce ne sont pas des questions, mais plus des remarques, des idées comme ça, qui me sont venues en t’écoutant. Tu parlais de la façon dont les adolescents interpellent c’est ça ? Tu disais … ça me faisait penser à la riposte dont parle souvent Czermak dans le transfert. Et alors, je ne sais pas si tu connais, il y a un mouvement, une association qui s’est créée, il y a peut-être deux ans maintenant, qui s’appelle « la riposte poétique ». C’est une collègue qui est psychiatre psychanalyste, qui s’appelle Farrugia Hossini, qui est à l’initiative de ça et qui se veut être un mouvement politique pour mettre en place la poésie notamment dans les institutions. Alors, et je crois que ça dépend de la chaire de philosophie à l’hôpital, cela s’appelle « la riposte poétique ». Ce n’est pas mal. Et je pensais à Charles Melman qui dans les dernières années avait proposé, pour les adolescents, des lectures obligatoires de poésie. Il voulait le proposer à l’Éducation Nationale, comme une possibilité de mettre fin aux problèmes à l’école. Concernant les métaphores musicales, il y en a eu souvent dans ton propos, ce qui est drôle c’est que : « Au-nom-de-la-rose », ça a été créé par une musicienne. Dani, la chanteuse Dani qui, quand elle était vraiment au plus mal, avait créé ces métaphores.

 

Corinne T :

Quelle chanteuse ?

 

Edouard B :

Dani, D.A.N.I, et elle avait créé ces magasins « Au-nom-de-la-rose » mais c’est une musicienne qui a créé ça. Et enfin, tu as fini par Celan. Je me suis dit faudrait peut-être le reprendre, parce que je ne l’ai plus en tête, il y avait un dialogue que Celan avait essayé d’avoir avec Adorno, là, toujours sur la question de dire. Ce que disait Adorno c’est que c’est totalement barbare d’écrire des poèmes après Auschwitz. Alors Celan en avait écrit un, et il avait fait une sorte de dialogue fictif avec Adorno. Ça s’appelle, je crois, « Conversation dans la montagne » ou dans les montagnes[1]. Il y a tout un passage qu’on pourrait reprendre, qui parle à mon avis de cette phrase qu’on travaille : « ce qui se dit dépend de qui écoute ». Il y a tout ça, c’est en prose, mais il y a tout un passage où il dit : « je parle mais je ne m’adresse à personne et personne ne m’écoute ». Il y a toute cette histoire de l’indicible. Enfin, il y a quelque chose, je me disais, qu’il faudrait peut-être reprendre, voilà, en tout cas le relire.

 

Nicolas Dissez :

On va laisser la parole à Jean-Jacques, à qui ça s’adressait quand même. C’est sur la question de l’adresse. Je commence par Lacan, le « pas pouâteassez»[2].

Si ça sonne comme de la poésie, c’est quand même de la poésie surréaliste, et c’est peut-être une modalité d’attraper la poésie sur un mode proche du Witz, du mot d’esprit. La poésie se rapproche de la formation de l’inconscient quand même. Et je pensais, dans le registre, à un autre grand poète, Marcel Czermak, quand il blague sur la folie raisonnante. Il fait résonner la langue sur le thème de la folie, mais c’est presque une blague surréaliste « folie raisonnante ». Ça introduit, justement là où il n’y en a pas beaucoup, dans la clinique de Sérieux et Capgras, une résonance de la langue. Ça dit … C’est performatif, quoi. Ça dit ce que ça fait, et ça fait ce que ça dit.

Alors je repensais à une chose que je crois, Patrick Mérot a dit la fois dernière : « ce qui se dit dépend de qui écoute , c’est une définition du transfert », ou c’est une façon d’attraper le transfert, et donc la question de l’adresse. Donc, je me demandais ce que la poésie pouvait changer de la dimension de l’adresse, et de la surprise de ton propos. « Je ne suis pas pouâteassez», c’est du côté de l’analyste. La surprise de ton propos, l’exemple que tu donnes, c’est la patiente dont tu parles. Alors qu’on a du mal à l’imaginer, c’est elle qui introduit la dimension poétique dans la séance, dans le travail, d’elle-même, avec comme tu le disais, l’inattendu. Cela déplace du coup un peu quand même l’histoire du « pouâteassez » de Lacan. Ma question porte là-dessus : « est-ce que »… enfin c’est toujours une question quand les patients amènent un écrit, je me demande souvent « est-ce qu’ils écrivent pour moi, ou est-ce qu’ils écrivent avec moi ? » Quand ils viennent l’introduire spontanément, et le lire en séance, et qu’on ne l’a pas spécialement suscité ou demandé, il me semble, à t’écouter, et à écouter aussi les poèmes de ta patiente, que cela modifie quelque chose. Par rapport à son propos antérieur, l’introduction de la poésie change la façon dont on l’écoutait. Mais c’est elle qui nous oblige, qui oblige à une autre écoute, c’est elle qui déplace l’écoute. Ma question, c’est de savoir si celui qui écrit un recueil de poèmes, écrit pour quelqu’un ? Ce n’est pas du tout évident que l’adresse soit du même type pour un roman ou pour un essai. L’écoute poétique opère, il me semble, un petit déplacement qui est analogue à l’écoute analytique. Cela nous rapproche de la question des formations de l’inconscient et de l’attention flottante comme on dit. L’écoute poétique suscite un certain type d’attention. Mais, une fois encore, c’est la patiente qui a déplacé l’écoute du praticien.

 

Corinne T :

Il ne faut pas oublier aussi que pour cette patiente, le transfert était pluriel. Il y avait celui qui avait trait à nos entretiens réguliers, mais il y avait aussi tout ce qui se passait dans les ateliers. Il y a donc quelque chose de plus complexe dans le type d’adresse qu’elle suscite. Il y a eu la conjonction, il me semble, d’une décomplétude de ma part, et d’une non-attente des animateurs dans les ateliers. En effet, on ne demande pas aux patients d’être performants, d’être de bons dessinateurs ou de bons écrivains… Il y a eu quelque chose qui s’est noué dans l’institution, pour qu’elle-même produise ce type d’adresse qui a considérablement, non seulement, déplacé mon écoute, mais celle de tous les autres collègues de l’équipe.

 

Jean-Jacques Tyszler :

Je peux dire un mot ?

 

Corinne T :

Si tu veux.

 

Jean-Jacques T :

C’est juste, tu en donnais un très bon exemple. C’est juste pour rappeler qu’on a des surprises venant de nos patients, et souvent des patients psychotiques, justement dans l’ordre du poétique. Je ne peux pas vous narrer par le détail, mais ça m’a toujours étonné que des grands schizophrènes un peu paranoïdes, tout d’un coup, un jour, apportent un cahier d’écriture, et vous vous apercevez assez vite que tout n’est pas rongé par l’automatisme. C’est-à-dire qu’à l’intérieur, il y a des vraies inventions. Lacan appelait cela le Réel de l’effet de sens. C’est-à-dire que cela se situe au-delà de la signification. A qui c’était destiné ? A qui c’est écrit ? C’est une question qui reste. Le patient ouvre la porte un jour, quand le transfert est assez mis en place, et à ce moment-là, de ce jour-là, quelque chose est en partage, non pas d’ailleurs qu’on juge la poésie ou qu’on la critique. Mais on considère que ce trésor est rendu, est donné. J’ai un autre exemple dont, je ne peux pas tout raconter parce que là c’est une patiente de cabinet, mais qui est une vraie poétesse, qui publie et qui sort de ses accès mélancoliques par la poésie. C’est cliniquement très difficile à expliquer. Elle traversait, elle traverse, des épisodes, hypomaniaques ou mélancoliques francs. Et dans le meilleur des cas, et heureusement c’était le cas, elle racontait elle-même, par côté, la poésie la rattrapait. C’est-à-dire qu’il y avait presque une automaticité des lettres qui allait la vivifier à nouveau. Elle était rattrapée par l’acte d’écrire, et, tout d’un coup, elle m’envoyait un petit texte puis un second, puis un troisième. Puis elle revenait à sa séance. Elle n’était pas guérie au sens propre, mais elle était sortie de son accès mélancolique, là où les médicaments elle les refusait, comme elle ne souhaitait pas être hospitalisée non plus. Elle était « guérie ». Comment donc est-ce possible ? Est-ce que c’est propre à la poésie uniquement ? Je dirais non, probablement, mais on pourrait appeler ça un plongement dans un lieu Autre, qui n’est pas celui de l’équivoque signifiante. Je vous en donne un exemple. J’avais un patient mélancolique qui avait failli se pendre à plusieurs reprises dans la clinique où je travaillais à l’époque, un vrai mélancolique. Et comment il sortait de ses épisodes ? Malheureusement nous, on n’y pouvait pas grand-chose, mais il peignait des aquarelles, d’où il prenait à l’occasion des couleurs, de temps en temps. Il lui venait l’idée de mettre des couleurs, et ça signait la sortie de ses accès. Aucun de nous n’aurait pu inventer ce genre de choses-là, mais à l’évidence il inventait un plongement dans un espace différent. Voilà les exemples que je pouvais vous donner au passage, mais je crois que chacun de nous, qui travaillons dans des lieux où il y a des psychotiques, peut en donner des exemples.

 

Lucas G :

Est-ce qu’on peut considérer que ça leur tient lieu d’inconscient dans le cas d’un écrit ? En effet, dans cette situation c’est quand même une autre chaîne signifiante qui est amenée, comme ça, dans le Réel. Et on peut dire que c’est là où ça rejoindrait la fonction des formations de l’inconscient, mais à partir du moment où elles se partagent. C’est cette idée qu’il n’y a pas de Witz si on est tout seul, il faut un autre qui accuse le coup. Il n’y a pas de lapsus si on est tout seul, il faut qu’il y ait un autre. C’est peut-être en cela, que pour certains patients psychotiques, ça peut avoir un effet thérapeutique si je puis dire, ou de suppléance, que d’adresser l’écrit. Autrement dit, cela fait « reconsister » l’inconscient.

 

Corinne T :

J’ai un petit exemple d’un patient psychotique que je vois depuis de très nombreuses années, qui m’a adressé un poème, et le titre du poème c’est « La Psy cause » …

 

Marion

Je vais commencer par quelque chose qui va peut-être vous choquer mais je n’aime pas beaucoup la poésie, enfin, je me suis toujours posée la question de savoir pourquoi. Ça m’est vraiment difficile, mais à entendre ce que vous disiez aujourd’hui, je vais peut-être me réconcilier un peu. C’était peut-être un peu la seule façon, puisque, comme vous avez dit, avoir été engluée, d’avoir eu cette trouvaille de l’envoyer en CATTP, qu’elle puisse s’emparer de la poésie, des mots qui résonnaient. Je pensais à des Haïku. Vous savez ces petits poèmes très courts qui qui célèbrent les sensations, c’est très musical en tout cas. Et voilà, je pensais aussi à l’écriture, plus qu’à la poésie. Au livre de Georges Semprun, qui s’appelle « L’écriture ou la vie »[3]. Il y a aussi des patients qui ne sont pas uniquement psychotiques, qui vous adressent ou qui écrivent des choses entre les séances, et qui nous les font lire ou nous les lisent. Et effectivement il y a de la suppléance là, mais j’aimerais bien comprendre pourquoi, j’ai du mal avec la poésie.

 

X :

Pour Freud la mélancolie c’est lorsque l’objet a tombe sur le moi. Le mélancolique demande à mourir, se plaignant d’être un déchet. Je pensais à cette création qui est quand même une sublimation. C’est-à-dire quelqu’un qui s’accroche, comme Gérard Garouste ou Nicolas de Staël qui avaient de grands moments de mélancolie. Le fait de sublimer quelque chose ressort d’une autre pulsion, et est en rapport avec l’inconscient. C’est la créativité qui crée une jouissance, donc ces artistes s’en sortent comme ça. Est-ce qu’on ne peut pas dire qu’il y a quelque chose qui se déplace dans le fait de créer ? Beaucoup d’artistes sont mélancoliques et s’en tirent par cette sublimation. C’est une supposition, mais je pense notamment à des peintres comme Nicolas de Staël.

 

Corinne T :

Je ne suis pas sûre qu’on puisse parler, dans le cadre des psychoses ou de la mélancolie, de sublimation. Il serait plus juste de dire qu’il y a suppléance ou ce que proposait Lucas Grimberg, qui me semble bienvenu, un tenant lieu d’inconscient, mais ce n’est pas une sublimation, enfin je ne crois pas.

 

Hubert de Novion :

Je voudrais faire plusieurs réflexions. D’abord, si on aime la poésie, je crois qu’il faut aussi la haïr. J’ai vérifié très vite, parce que je n’étais pas sûr, il y a un petit bouquin de Georges Bataille qui s’appelle « La haine de la poésie »[4]. Je ne m’en souviens pas, mais en tout cas, quelqu’un qui a été un tout petit peu dans ce sens, c’est un grand écrivain, Denis Roche et qui dans ses premiers textes, comme « Louve basse »[5], réagissait contre le côté qu’on peut dire sublime de la poésie. On peut haïr un certain côté sublime de la poésie, le mettre en cause d’ailleurs, ce qui n’est pas être contre la poésie du tout ! Simplement je crois que c’est ce que fait Lacan. Nicolas Dissez l’a fait entendre lorsqu’il (Lacan) parle de « pouâte » au lieu de poète, c’est pour limiter le côté inspiré, poète, vous voyez ? Et c’est « pouâte ». Je crois que Lacan n’était pas du tout, à mon avis, du côté de la tradition poétique française comme Bonnefoy, Duboucher, une tradition proche de la philosophie. Ces derniers sont des auteurs proches de la philosophie, il était beaucoup plus de cette tendance-là.

 

« Pas toutes » les psychoses seraient proches de la poésie, la schizophrénie sans doute. Je crois qu’on a dit que Rilke était plutôt côté schizophrène, donc ça vaudrait le coup de voir un tout petit peu quel versant de la psychose est intéressé par ce point. Sinon, je voulais vous dire aussi, que tout ce qui a été dit aujourd’hui vaudrait vraiment le coup d’être repris d’autres fois. Il y a eu beaucoup de questions très importantes, y compris Jean-Jacques, lorsqu’on plonge dans un autre espace. Ça vaudrait vraiment le coup de reprendre les différentes questions pour que cela ne reste pas comme une simple intervention, ponctuelle.

 

Corinne T :

Il me semble que Lacan a eu quelques mots de poésie à propos de l’amour, il avait écrit : « l’amour est un caillou riant dans le soleil »[6].

 

Hubert D.N :

Ça, c’est Eluard.

 

Corinne T :

Non c’est Lacan.

 

Hubert D. N :

NON c’est Eluard.

 

Corinne T :

Non non non, on a pensé que c’était Eluard mais Olivier Douville a retrouvé le passage où il l’écrit.

 

Hubert D.N :

C’est du Lacan !

 

François … :

Je ne voulais pas intervenir sur la poésie, mais plutôt sur ce qui est arrivé avant qui m’a complètement ahuri, sur l’orientation de la cure. Quand vous avez dit qu’il s’agissait peut-être, dans la clinique contemporaine, de ne plus jouer sur l’équivoque ou de réintroduire le père, mais de laisser jouer l’Imaginaire qui permet de tisser un récit de soi. Effectivement, il y a quelque chose de l’ordre de l’Imaginaire qui prend plus d’importance aujourd’hui dans le lien social, alors moi ça m’a ahuri ça. Il me semblait que Lacan disait qu’il s’agissait d’aborder le Réel par le Symbolique et que c’est ça qui faisait un effet… Qu’est-ce que ça change en gros d’abandonner le Symbolique et de s’en remettre à l’Imaginaire ?

 

Corinne T :

On ne l’abandonne pas, on prend l’Imaginaire au cœur du dispositif, pour le nouer au Symbolique comme au Réel. Il ne s’agit pas de dire que l’Imaginaire supplanterait le symbolique. De toute façon, Lacan lui-même, a toujours dit que les trois ronds étaient à parts égales.

Ici, il s’agit plutôt de mettre au cœur du dispositif la question du récit, du RSI. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus jouer sur les équivoques signifiantes, mais que cet outil n’est pas toujours efficient dans la clinique avec certains adolescents.

De la même façon, faire appel systématiquement à la verticalité du père n’est pas non plus toujours opérant. Et je rappelle juste que, dans le passage du Nom du Père aux Noms du Père, le nouage de RSI vaut comme Nom-du-Père.

 

Lucas G :

Un point juste, excuse-moi. Peut-être que l’on dit souvent : « avant ceci, maintenant cela », mais je pense que c’est des questions qui se posent toujours au cas par cas, et qui dépendent de la façon dont chacun parle de la façon dont un patient va être pris par la langue. Tu vois, si sa parole va s’orienter davantage sur un côté récit ou une face assez imaginaire, ou bien, même si ça arrive pour certains patients, on constate que le patient va être tout à fait sensible à cette dimension d’équivoque d’ambiguïté signifiante en fonction de ce qu’il dit. Enfin, ça dépend vraiment de chacun.

 

François … :

De ce qui marche.

 

Lucas G :

Des conditions d’une parole possible pour le sujet.

 

Jean-Jacques T :

Il y a peut-être…. Ça serait pour un débat beaucoup plus long une prochaine fois. Il y a un tournant RSI, il ne faut pas l’oublier, au-delà de la topologie. C’est-à-dire que, Lacan le dit lui-même, la hiérarchie, vous savez, il dit lui-même : « vous avez peut-être trop entendu que je hiérarchisais toutes les catégories par le Symbolique premier ». Il dit ça : « j’en ai trop fait ». Il le dit lui-même. Et donc, il y a un coup de force de Lacan qui a surement étonné tous ceux qui étaient là ce jour-là. Il dit : « je vais mettre les trois catégories à égale dignité ». Vous vous rappelez de ça ? C’est énorme, énorme parce que tous les analystes étaient formés sur cet adage : « y’a l’d’autorité ». Il y a de l’autorité du Symbolique, et ça reste encore dans beaucoup d’endroits. Alors moi, je rappelle toujours qu’Anna Arendt avait prévenu qu’à la sortie de la guerre et de la Shoah, ce que vous appelez l’autorité classique c’en est fini, elle l’a dit. Assez bizarrement il a fallu attendre. Ça ne veut pas dire, effectivement tu as raison, que dans toutes les cures il n’y a pas appel à la question du père. Mais quand Lacan dit plus tardivement que : « le risque c’est que l’imaginaire ne s’exfolie », c’est-à-dire se détache feuille par feuille, l’imaginaire s’exfoliant, c’est alors tout le nœud…. Et donc, pour être très pragmatique, pourquoi dans les services d’enfants aujourd’hui, dans les services de pédopsychiatrie, on fait récit avec les enfants de la mythologie ? On fait récit. On les oblige à faire récit de la vie voyez-vous, y compris de leur vie de famille évidemment, parce que c’est ça le risque. Tout étant virtualisé, il n’y a plus d’utopie, il n’y a plus de grand récit, aussi bien dans le politique aujourd’hui, que dans le social. C’est pareil. A part acheter des terres à droite à gauche qu’est-ce qui fait utopie politique ? Donc je dirais peut-être … peut-être qu’on en est là aujourd’hui. On en est là nous-mêmes. En tout cas moi, j’essaye de comprendre pourquoi Lacan, dans les années… Si on met de côté le côté un peu aride de l’arithmétique, de la topologie, mais néanmoins il prévient que les grandes verticalités dont il a lui-même parlé, il pense que ça va être une difficulté et qu’il faudra réinventer des façons de toujours tisser, renouer, autrement. Alors, je le dis au passage, parce que les noms-du-père c’est pas juste les trois monothéismes, il faut faire attention. Oui, il ne faut pas interpréter les noms du père comme le pluriel Islam, Judaïsme, et Chrétienté. Sûrement pas, d’ailleurs on sait quand RSI… on le sait par Charles Melman qui racontait ça, à l’époque, le jour où Lacan … il travaillait ça, il travaillait effectivement, sur le monothéisme juif, en même temps sur Dante. Vous vous en rappelez. Il travaillait sur Dante, il prenait l’exemple de Dante et de Joyce. C’était les trois exemples qu’il avait sous le coude, en même temps, pour lui-même. Il tissait en même temps. Bon voilà, c’est pour dire, que tout n’était pas dans la verticalité du monothéisme. Bon, je crois qu’on en est là et dans beaucoup d’écoles ces questions sont à l’œuvre : comment entendre ce risque que se défasse effectivement cet imaginaire qui n’est pas l’imaginaire au miroir, et même pas l’imaginaire fantasmatique, qui est l’imaginaire narratif, qui est déjà du symbolique effectivement ?

 

Lucas G :

Oui c’est ça, parce que dans un mythe au final, ce que vous étudiez, on entend bien la dimension RSI, il y a tous les registres qui sont là. Peut-être que dans la poésie ça fait aussi nœud, mais un peu plus, enfin…, disons que le côté sens se trouve très serré du côté de l’objet a.

 

Philippe Azoury :

Je ne sais pas si c’est moi qui termine, j’ai l’impression ! C’était pour rebondir sur ce que disait Lucas Grimberg à juste titre, que : « ce qui se poétise dépend d’un trou ». Et ça m’a fait penser à un des premiers poèmes d’Henri Michaux. C’est dans Ecuador, cela date de 1926 ou 1927[7]. Il part en Équateur, s’éloigne beaucoup, il y a fait beaucoup de vent, il est à Quito où beaucoup de psychanalystes ont été un moment parler, et il écrit un poème qui s’appelle : « Je suis né troué », dans lequel je citerai juste ce passage :

 

« Mon vide est ouate et silence.
Silence qui arrête tout.
Un silence d’étoiles.
Quoique ce trou soit profond, il n’a aucune forme.
Les mots ne le trouvent pas ».

 

« Je suis né troué »[8], c’est dans Ecuador.

 

 

Lucas G :

Puisque Philippe a décidé de couper…

 

Corinne T :

La séance est trouée.

 

[1] Conversation à la montagne, Paul Celan, Éditions Du Lavoir Saint Martin, 1 Avril 2011.

[2] Néologisme utilisé par Lacan dans la séance du 19 mai 1977 du séminaire « L’insu que sait de l’une bévue s’aile amourre ». Transcrit parfois sous la forme pohâtassé.

«L’astuce de l’homme, c’est de bourrer tout cela, je vous l’ai dit, avec de la poésie qui est effet de sens, mais aussi bien effet de trou. Il n’y a que la poésie, vous ai-je dit, qui permette l’interprétation et c’est en cela que je n’arrive plus, dans ma technique, à ce qu’elle tienne ; je ne suis pas assez pouâte, je ne suis pas pouâteassez !»

LXXIV L’INSU QUE SAIT DE L’UNE BÉVUE S’AILE À MOURRE 1976 – 1977 LEÇON DU 17 MAI 1977

[3] L’Écriture ou la Vie, Jorge Semprun, Folio/Gallimard, Folio no 2870, Paris, 1994.

[4] La haine de la poésie, Georges Bataille, Les Éditions de Minuit, Paris, 1947.

[5] Louve Basse : Ce N’est Pas Le Mot Qui Fait La Guerre, C’est La Mort, Denis Roche, Seuil, 1992.

[6] Jacques Lacan, in L’Instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud (1957), p. 508, ainsi que dans Le Séminaire, Livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1983.

« Plusieurs lecteurs ont cherché, en vain, d’où venait la citation dont Lacan illustrait la métaphore dans L’Instance de la lettre dans l’inconscient (p. 508) : “l’amour est un caillou riant dans le soleil”. Elle est de lui », in Erik Porge, Transmettre la clinique psychanalytique. Freud, Lacan, aujourd’hui, Toulouse, Érès, 2005, p. 62.

[7] Henri Michaux, Ecuador, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », Paris, 1990.

[8] « Je suis né troué. Il souffle un vent terrible. Ce n´est qu´un petit trou dans ma poitrine, Mais il y (…) …ce n´est qu´un vent, un vide. Malédiction sur toute la terre, sur toute la civilisation, sur tous les êtres à la surface de toutes les planètes, à cause de ce vide. (…) Ce vide, voilà ma réponse ». Henri Michaux, Ecuador, opus cité.

EPSA, mars 2025