Par Laetitia Putigny-Ravet
Ce matin, comme tous les matins, je suis sortie faire mes exercices physiques, mon attestation signée par moi-même dans ma poche et au retour, à ma grande stupéfaction, je constate que j’ai oublié mes clés. Je suis enfermée dehors, le comble en ces temps de confinement!!!
L’altérité en moi est là et elle me joue un mauvais tour, car, j’habite à côté d’un commissariat et les policiers finissent par prendre comme une provocation ma manière de faire la pose devant eux.
Je repense à une phrase de mon analyste « l’inconscient se déploie dans un autre espace et un autre temps que celui de la réalité » qui n’hésitait pas à me rappeler que même dans un contexte de vacances, de jours fériés, l’inconscient était toujours au travail. Ainsi, cette altérité, ce réel s’est rappelé à moi ce matin d’une manière bien singulière. J’en déduis que, rentrer me confiner chez moi, n’est pas mon désir du moment.
Quand j’ai dû annoncer à mes patients que je ne pourrai plus les recevoir au cabinet, j’avais à l’esprit que l’inconscient, lui, n’était pas confiné et qu’il continuerait son travail même hors cabinet et hors regard. Alors, quand une première patiente m’a proposée de poursuivre son analyse par téléphone, mes hésitations face à cette modalité sont très vite tombées.
D’emblée, elle m’annonce qu’elle a choisi le bureau de son mari pour me parler alors qu’elle travaille dans sa chambre depuis le confinement. Elle pose ainsi la question du lieu d’où elle parle et elle s’interroge sur le lieu que j’occupe. Cet imaginaire autour de là où se trouve le corps de l’analyste l’envahit. A qui je parle si je ne peux vous voir ? Est-ce que vous m’écoutez, m’entendez ?
Si le lieu de l’Autre est le lieu d’où l’on parle, pour cette patiente, l’impossibilité de voir l’analyste a produit un vacillement. La séance suivante, elle est aux urgences ophtalmologiques : « érosion de la cornée » m’écrira-t-elle. Elle évoque les vers d’une tragédie où l’Eros incestueux empêche l’héroïne de continuer à voir. Si ce changement de lieu n’a pas été sans effet sur son fantasme, « le cadre de la parole », pour reprendre les mots de Jorge Cacho cités par Elsa, une fois garanti, a permis de poursuivre le travail.
Par la suite, elle convoque la figure d’une femme aveugle en constatant que même si cette femme ne voit pas, elle porte un regard sur elle. C’est ainsi qu’elle différencie le regard de la vue et qu’elle constate que l’on peut être aveugle et avoir un regard sur l’autre, j’ajouterai une représentation de l’autre à laquelle elle peut s‘identifier. N’est-ce pas de ce regard dont il s’agit de parler ? C’est ce à quoi elle s’évertue les séances suivantes.
L’inconscient ne connaît ni la contradiction, ni le temps, il n’est pas ordonné dans notre espace-temps et il méconnait la vue. Mais l’inconscient, s’il est aveugle n’est pas sourd au regard.
Alors oui, le travail continue dans une modalité singulière, nous sommes confinés comme nos patients, la voix est prégnante lors des consultations et nous sommes attrapés par le discours courant mais nous les écoutons d’un lieu où l’inconscient continue à se déployer, à tirer les ficelles du sujet et de son symptôme. « Le langage est la condition de l’inconscient » et c’est de ce lieu que les patients s’adressent aux psychanalystes et inventent des réponses à l’impossible.