Comme Clérambault avait photographié les drapés, Marcel Czermak avait lui aussi une pratique photographique.Discrète.
Format paysage, ce sont des vues portuaires. De hautes grues déplient leurs bras sur un ciel blanc, câbles et filsredoublent leurs axes jusqu’au sol en d’innombrables traits. Un mouvement déjà réglé qui se déploie, rigide aux angles droits qu’il dessine, fragile dans sa composition ajourée. Il y a de l’air en haut de l’image, amorcée sur un sol de terrain vague, lourd et vaguement herbeux, avec au centre ce crayonné de lignes droites enchevêtrées que forme lamultiplication des grues.
Mais c’est un paysage hors profondeur, tous les plans sont à lire selon la même focale. L’illusion d’une histoire qui commencerait ici pour se terminer là-bas dans un flou de lointain, comme dans les tableaux de genre où l’on chemine dans l’image, se ramasse et se condense ici en une prise de vue unique en laquelle se rassemblent tous les itinérairesempruntés, puisqu’en somme il s’agit du même, toujours répété. Trait repassé, superposé, recommencé, qui contient dans l’épaisseur de son noir, son abîme. Grilles ouvragées et verticales, structures suspendues, organisent un espace déserté où les grues nous font signe. (JFP 44, p.86)
Là, le paysage est d’eau. Un lac ou une avancée de mer forme une étendue ovale, prise entre une ligne de montagnes sombre et une bande de sable gris. Au-dessus, le même ciel blanc que tout à l’heure mais ici son reflet, commandé par l’eau, redouble sa présence au centre de l’image. Vaste miroir dans lequel vient se prendre une petite silhouette qui s’éloigne, marchant au bord. Son pardessus est agité par le vent, faisant écho à la ligne courbée des montagnes au loin.Elle tourne le dos à ce miroir qui prend toute l’image, ne s’y arrête pas, ignore son reflet, regarde ailleurs. Son image gîtalors dans l’eau comme une ombre attachée à ses pieds.
Autour de ce miroir s’organise tout l’espace de l’image. La surface blanche indique le haut et le bas tout autant qu’elleles subvertit, organise une profondeur de verre, découpe ou répète ce qui s’offre à la vue. La photographie contient son propre retournement, elle serait la même, le ciel serait alors le reflet, le reflet serait alors le ciel mais s’ouvrirait cependant un paysage impossible et une périlleuse traversée. (p. 119)
Comme des pas qui auraient laissé il y longtemps leurs empreintes dans le sable, ce sont inscrites de faibles traces dans le désert. Elles ont marqué le sable fin mais elles ont disparues lorsque la surface s’est craquelée, formant des îlots isolés par des failles. L’image est ici verticale et rompant avec l’horizontalité du paysage, c’est tout un morceau de sol qu’elle donne à voir, divisé. Surface presque lisse en haut, sol asséché en bas, avec pour ouverture en haut à droite un coin d’infini. Mais ce sable qui occupe toute l’image de ses différents états se révèle finalement pierre dure ou peut-être mer.
Surface sculptée en bas-relief ou reflets agités, l’oeil est devant l’énigme d’un mouvement qui a eu lieu et dont ne resteque les creux ou les arrêtes vives qu’il a tracés. (p. 65)
Inscriptions qui témoignent de la présence d’un objet ou de son manque : traits, matières, formes. Toujours en noir et blanc – tous les paysages comportent leur nuit, le plein, le soleil et le vide – les photographies de Marcel Czermak saisissent ces surfaces tourmentées et les traits qui les animent, révèlent avec précision leurs qualités, leur beauté vasans dire. C’est à l’acuité du regard que chacune de ces images invite, semblant en donner la responsabilité à celui qui se trouve devant avec le désir d’en poursuivre l’exploration. Le motif est repris, retravaillé sans cesse et offre alorsd’infinies variations qui en épurent pourtant à chaque fois davantage la ligne. Photographies de paysages, on pourraitdire photographe de structures.