Mon très vieil ami Marcel Czermak était venu nous voir à Saint-Petersbourg.
Le soleil presque blanc peinait à se lever. Les jours étaient extrêmement courts. Nous étions à quelques jours du Réveillon du nouvel an que nous allions fêter ensemble à la résidence de France située sur les bords de la rivière Moïka, parallèle à la majestueuse Néva embâclée depuis presque deux mois.
Exceptionnellement, il ne faisait pas très froid, entre -15 et -18• C, et la neige était peu abondante. Dire qu’à la mi-octobre il y avait eu la première tempête de neige de l’hiver.
Un matin, je proposai à Marcel de m’accompagner à un endroit dont j’ai oublié le nom, où je devais assister à la pose de la première pierre de la ligne Saint-Pétersbourg-Moscou par TGV.
Le chauffeur roulait prudemment car le verglas était fréquent. Le fanion tricolore du Consul Général accroché au-dessus de l’aile droite flottait dans l’air glacial.
Il faisait bon dans la voiture. Marcel fumait comme à l’habitude. C’est-à-dire qu’il allumait une cigarette, en tirait une ou deux bouffées puis la laissait se consumer. La fumée qui s’élevait ne sentait pas bon et les doigts de Marcel jaunissaient doucement.
Nous traversâmes l’immense ville, roulant droit devant nous, plein Est, vers la campagne enneigée. On n’entendait que le léger crissement des pneus.
Quelques quinze ou vingt kilomètres plus loin, le chauffeur braqua le volant de la voiture de fonction, tourna à gauche et s’engagea dans un chemin creux bordé d’arbres chétifs.
Je regardai ma montre et vis que nous allions être en retard. Je dis donc au chauffeur d’accélérer puisqu’il connaissait le chemin, ayant reconnu les lieux auparavant comme tout bon chauffeur de chef de poste. Il n’était pas question en effet pour lui comme pour moi de courir le risque de nous perdre et d’arriver après la cérémonie.
Un violent coup de klaxon nous fit sursauter. Marcel se retourna et me dit : c’est une grosse Mercedes noire. Oui, lui répondis-je après avoir regardé moi aussi, c’est la Mercedes du Maire de Saint-Pétersbourg. Anatoly Sobtchak était derrière nous et son chauffeur, craignant sans doute lui aussi d’arriver en retard, nous sommait d’aller plus vite. Bientôt, le chemin s’élargit et déboucha dans une sorte de plaine désertique battue par le vent qui faisait voler la neige. On aurait dit des nuages de poussière blanche se déplaçant rapidement un peu au-dessus du sol.
Un groupe d’hommes chaudement vêtus attendaient à environ 300 mètres.
Mon chauffeur laissa passer la voiture du Maire et la suivit tandis que celle-ci accélérait, comme pour un sprint final.
Il y eut un grand bruit sec. Nous étions passés sur un trou profond.
Le soleil presque blanc peinait à se lever. Les jours étaient extrêmement courts. Nous étions à quelques jours du Réveillon du nouvel an que nous allions fêter ensemble à la résidence de France située sur les bords de la rivière Moïka, parallèle à la majestueuse Néva embâclée depuis presque deux mois.
Exceptionnellement, il ne faisait pas très froid, entre -15 et -18• C, et la neige était peu abondante. Dire qu’à la mi-octobre il y avait eu la première tempête de neige de l’hiver.
Un matin, je proposai à Marcel de m’accompagner à un endroit dont j’ai oublié le nom, où je devais assister à la pose de la première pierre de la ligne Saint-Pétersbourg-Moscou par TGV.
Le chauffeur roulait prudemment car le verglas était fréquent. Le fanion tricolore du Consul Général accroché au-dessus de l’aile droite flottait dans l’air glacial.
Il faisait bon dans la voiture. Marcel fumait comme à l’habitude. C’est-à-dire qu’il allumait une cigarette, en tirait une ou deux bouffées puis la laissait se consumer. La fumée qui s’élevait ne sentait pas bon et les doigts de Marcel jaunissaient doucement.
Nous traversâmes l’immense ville, roulant droit devant nous, plein Est, vers la campagne enneigée. On n’entendait que le léger crissement des pneus.
Quelques quinze ou vingt kilomètres plus loin, le chauffeur braqua le volant de la voiture de fonction, tourna à gauche et s’engagea dans un chemin creux bordé d’arbres chétifs.
Je regardai ma montre et vis que nous allions être en retard. Je dis donc au chauffeur d’accélérer puisqu’il connaissait le chemin, ayant reconnu les lieux auparavant comme tout bon chauffeur de chef de poste. Il n’était pas question en effet pour lui comme pour moi de courir le risque de nous perdre et d’arriver après la cérémonie.
Un violent coup de klaxon nous fit sursauter. Marcel se retourna et me dit : c’est une grosse Mercedes noire. Oui, lui répondis-je après avoir regardé moi aussi, c’est la Mercedes du Maire de Saint-Pétersbourg. Anatoly Sobtchak était derrière nous et son chauffeur, craignant sans doute lui aussi d’arriver en retard, nous sommait d’aller plus vite. Bientôt, le chemin s’élargit et déboucha dans une sorte de plaine désertique battue par le vent qui faisait voler la neige. On aurait dit des nuages de poussière blanche se déplaçant rapidement un peu au-dessus du sol.
Un groupe d’hommes chaudement vêtus attendaient à environ 300 mètres.
Mon chauffeur laissa passer la voiture du Maire et la suivit tandis que celle-ci accélérait, comme pour un sprint final.
Il y eut un grand bruit sec. Nous étions passés sur un trou profond.
Regarde, me dit Marcel, tu as perdu le fanion tricolore! La République est nue!
Alexandre, dis-je au chauffeur, vous le chercherez plus tard, pendant la cérémonie.
Nous descendîmes du véhicule, le porte-fanion chromé pendait misérablement. Nous étions les derniers.
Je saluais le Maire, le Président du Soviet régional, le Maire du village, le représentant des chemins de fer russes, les représentants de la SNCF et deux directeurs d’une grande entreprise française candidate à la construction de la ligne. Il y avait aussi un bon nombre d’Allemands du Ministère des transports et de Siemens.
Un officiel prit un lourd parpaing, le posa sur un rocher amené là tout exprès et recouvert de ciment. Il pria les autorités de tapoter l’ensemble avec une truelle qu’il tendait cérémonieusement. J’eus droit à une pelletée. Marcel aussi, je crois, car je ne me le rappelle plus très bien.
Il y eut de trop longs discours pendant lesquels, heureusement, des serveurs sortirent d’une camionnette, garée un peu plus loin, une table, une grande nappe blanche, des plateaux remplis de blinis et de pirojkis, ces petits gâteaux fourrés à la viande, des bols de caviar et d’oeufs de saumon ainsi que des bonbons et des chocolats enveloppés dans des papiers brillants et multicolores.
Ils apportèrent des verres dans des porte-verre marqués du sigle des chemins de fer russes, et de grandes bouteilles thermos pleines de thé brûlant. Ils disposèrent des soucoupes pleines de morceaux de sucre dont les deux caractéristiques sont qu’ils sucrent peu et ne fondent pas. Ils posèrent également, bien sûr, des bouteilles de vodka et les rioumkis, ces petits verres qui autrefois étaient utilisés pour boire du rhum.
Ce fut un moment joyeux et festif où chacun trinquait avec ses voisins. Il fallait boire cul sec si on était un homme, et les toasts se succédaient à grande vitesse. Marcel, je dois le reconnaître, se comporta comme un Russe et je n’eus pas à rougir de lui. Lui non plus du reste ne put me faire aucun grief!
Nous ne tenions plus tout à fait sur nos jambes quand nous remontâmes en voiture. Et je riais en disant à Marcel que jamais ce train ne roulerait.
Ceci se passait, je crois, en 1993. Une fois de plus je me suis trompé. En effet, 16 ans plus tard roula le « faucon pélerin », le sapsan, ce train à grande vitesse qui relie la capitale russe et la capitale du Nord.
Alexandre, dis-je au chauffeur, vous le chercherez plus tard, pendant la cérémonie.
Nous descendîmes du véhicule, le porte-fanion chromé pendait misérablement. Nous étions les derniers.
Je saluais le Maire, le Président du Soviet régional, le Maire du village, le représentant des chemins de fer russes, les représentants de la SNCF et deux directeurs d’une grande entreprise française candidate à la construction de la ligne. Il y avait aussi un bon nombre d’Allemands du Ministère des transports et de Siemens.
Un officiel prit un lourd parpaing, le posa sur un rocher amené là tout exprès et recouvert de ciment. Il pria les autorités de tapoter l’ensemble avec une truelle qu’il tendait cérémonieusement. J’eus droit à une pelletée. Marcel aussi, je crois, car je ne me le rappelle plus très bien.
Il y eut de trop longs discours pendant lesquels, heureusement, des serveurs sortirent d’une camionnette, garée un peu plus loin, une table, une grande nappe blanche, des plateaux remplis de blinis et de pirojkis, ces petits gâteaux fourrés à la viande, des bols de caviar et d’oeufs de saumon ainsi que des bonbons et des chocolats enveloppés dans des papiers brillants et multicolores.
Ils apportèrent des verres dans des porte-verre marqués du sigle des chemins de fer russes, et de grandes bouteilles thermos pleines de thé brûlant. Ils disposèrent des soucoupes pleines de morceaux de sucre dont les deux caractéristiques sont qu’ils sucrent peu et ne fondent pas. Ils posèrent également, bien sûr, des bouteilles de vodka et les rioumkis, ces petits verres qui autrefois étaient utilisés pour boire du rhum.
Ce fut un moment joyeux et festif où chacun trinquait avec ses voisins. Il fallait boire cul sec si on était un homme, et les toasts se succédaient à grande vitesse. Marcel, je dois le reconnaître, se comporta comme un Russe et je n’eus pas à rougir de lui. Lui non plus du reste ne put me faire aucun grief!
Nous ne tenions plus tout à fait sur nos jambes quand nous remontâmes en voiture. Et je riais en disant à Marcel que jamais ce train ne roulerait.
Ceci se passait, je crois, en 1993. Une fois de plus je me suis trompé. En effet, 16 ans plus tard roula le « faucon pélerin », le sapsan, ce train à grande vitesse qui relie la capitale russe et la capitale du Nord.
Mais pour Marcel et pour moi, le souvenir de cette matinée, de cette vodka bue en abondance, sous un ciel blanc, dans le froid, en pleine campagne, les louches de caviar, les discours et le fanion arraché, reste vivace et plaisant.